Cannes 2022 : DECISION TO LEAVE / Critique

23-05-2022 - 22:12 - Par

Cannes 2022 : DECISION TO LEAVE / Critique

De Park Chan-wook. Sélection officielle, compétition

 

Pour figurer l’impossibilité des sentiments, Park Chan-wook construit une cathédrale de mise en scène d’une inventivité constante.

Dans DECISION TO LEAVE, tout est affaire d’écrans de fumée. Avec cette histoire de flic qui enquête sur la mort suspecte d’un homme et tombe amoureux de la veuve du défunt, Park Chan-wook laisse entendre, a priori, qu’il va une nouvelle fois chevaucher le genre pour mieux le dompter à son bon vouloir. Raté. DECISION TO LEAVE n’a rien du film noir qu’il a l’air d’être ; il n’en a que les fugaces apparences, qui s’effacent aussi vite qu’elles s’étaient formées. DECISION TO LEAVE s’impose en revanche très vite en mélodrame, dans la droite lignée de l’amour du cinéma coréen pour ces histoires tragiques, débordant de sentiments contraires et déchirants. Mais même là, DECISION TO LEAVE intrigue, dissimule et trompe. Chantre d’un cinéma charnel, qu’il soit violent et/ou sensuel, Park Chan-wook se fait ici étrangement platonique, voire chaste, parfois atone. Il sonde les émotions de ses personnages en les inféodant aux rebondissements d’une intrigue, bien menée certes, mais particulièrement fuyante. Park Hae-il incarne superbement la quête éthérée d’un ‘homme moderne’ en quête perpétuelle de sens. Tang Wei, en potentielle femme fatale, déploie des trésors d’ambiguïté, entre malice et fragilité. Mais tout ça explique-t-il le brio de DECISION TO LEAVE ? Non. À peine en effleure-t-on sa surface. Car là encore, le film dissimule et trompe. Sa structure magistralement alambiquée, rappelant celle de MADEMOISELLE ou JSA, tout comme son écriture importent finalement peu, même si Park joue avec merveille des mots (ces dialogues, drôles et profonds !), et des langages (coréen et chinois). Son intrigue, en fait, importe encore moins. Ce qui se joue vraiment ici, pendant 2h18, c’est la mise en scène comme objet d’une part et comme comme outil narratif, réification de l’impossibilité de l’amour, d’autre part. Le reste ? Du superflu, du MacGuffin. Le son coupé, on saisirait peut-être encore plus frontalement la beauté tragique de leurs destins. À l’image, Park Chan-wook, un des plus grands formalistes de notre époque, conçoit une cathédrale de mise en scène où travail de focale, reflets, miroirs, écrans et surfaces diverses (cornée, téléphone, etc.) éloignent les êtres, les font disparaître l’un pour l’autre ou les empêchent de communiquer. Une distance fantomatique, invisible, mais toujours là, comme obstacle constant à l’accomplissement des sentiments. Hae-joon le flic a beau s’imaginer arpenter les lieux qu’il surveille, ces appartements où Sore la suspecte regarde des films jusqu’à s’endormir, tout ne reste que fantasme. Projection. Tout est là, plan après plan, réifié à l’écran par des idées sublimes – citons cet interrogatoire où, filmés de profil, les personnages sont flous ou nets chacun à leur tour. La mise en scène est partout car elle est partie de leurs vies (de la nôtre, aussi ?). Park Chan-wook signe avec DECISION TO LEAVE un de ses films les plus complexes à apprivoiser, les moins immédiatement aimables, ne cherchant jamais vraiment l’efficacité mais intimant constamment à son spectateur de regarder intensément. Le voyage n’a rien d’évident. Et c’est peut-être ce qui le rend encore plus palpitant.

De Park Chan-wook. Avec Park Hae-il, Tang Wei. Corée du Sud. 2h18. En salles le 29 juin

 

 

 

 

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