Cannes 2022 : LES BONNES ÉTOILES / Critique

26-05-2022 - 19:20 - Par

Cannes 2022 : LES BONNES ÉTOILES / Critique

De Hirokazu Kore-eda. Sélection officielle, compétition

 

Tout Kore-eda, mais en Corée. Préparez les mouchoirs.

Peut-être que le cinéma c’est aussi simple et pur que ça : dans une scène, rendre hommage à un grand film américain des années 90, en reprendre ses images, y faire référence sans le nommer, reprendre sa chanson emblématique, et en faire autre chose d’aussi beau et d’aussi marquant. Imprimer une nouvelle image dévastatrice à partir d’une préexistante. LES BONNES ÉTOILES a cette force de cinéma-là, de celle qui donne des frissons quand le film s’invite dans nos mémoires ou nos discussions. En se délocalisant en Corée, Hirokazu Kore-eda n’a pas oublié les grandes lignes directrices de son cinéma : une exploration des liens familiaux et, plus largement, de tout ce qui unit les êtres et rend la vie plus supportable. Le cinéaste n’a eu de cesse d’étudier ce qui nous modèle en animaux sociaux, de radiographier comment nos sociétés se forment ou se déchirent – un cinéma hautement politique donc, au sens premier du terme, et qui, par sa spécificité, atteint toujours, par l’émotion, une universalité.

Kore-eda pose cette fois sa caméra à Busan où le patron d’un petit pressing, Sang-hyun (Song Kang-ho) mène un trafic avec Dong-soo (Gang Dong-won), employé d’une église. La nuit, des femmes désespérées y abandonnent des enfants dans des « boîtes à bébés ». Pour leur éviter l’orphelinat, les deux hommes subtilisent les nourrissons et les revendent. Jusqu’au jour où Soo-jin (Doona Bae), policière, les prend en chasse… LES BONNES ÉTOILES requiert au spectateur un léger temps d’acclimatation. Peut-être celui qu’il a fallu à Kore-eda aussi pour s’habituer à ces nouveaux décors, ces nouveaux acteurs (même s’il connaît bien Doona Bae), à cette nouvelle langue – d’autant que, sans réellement pouvoir l’expliquer, LES BONNES ÉTOILES s’inscrit dans la lignée du cinéma coréen contemporain, plus que du cinéma japonais. Le récit peine à l’allumage, son rythme comme enrayé par un trop-plein d’intrigue – fait rare chez Kore-eda, plus habitué à un cinéma d’histoire et de personnages. Peut-être aussi que l’arrivée du cinéaste sur les terres coréennes, avec en vedette l’un des meilleurs acteurs au monde, Song Kang-ho, a suscité beaucoup de fantasmes auxquels le cinéaste et le comédien ne répondent aucunement, refusant toute ritualisation ou spectacularisation. Song Kang-ho est là, dans toute son humanité, mais sans fioritures et surtout, comme partie d’une troupe.

Puis, peu à peu, parce que Kore-eda reste ce maître de la comédie humaine, chaque personnage prend de l’épaisseur et transcende la fonction trompeuse que le récit lui avait assigné au départ. Ils se révèlent tous dans les non-dits et les silences, les confessions à demi-mots et les regards tristes, que le cinéaste capte dans une luxuriance esthétique – entre image lumineuse de bord de mer et séquences nocturnes ultra contrastées. Les discussions sur l’abandon, l’avortement, le désir ou non de parentalité se font de plus en plus graves, sans didactisme mais avec un réel souci de justesse. Les questionnements se complexifient, cherchant les raisons et les conséquences des actes de chacun et, irrémédiablement, font naître l’empathie. Cette manière de sonder tous les points de vue et états d’âme sans les juger, mais en leur donnant des raisons et un passif, reste la grande force, jamais contredite, de Kore-eda. Les moments de grâce se succèdent (un rire collectif au car wash ; une discussion au téléphone avec un mari resté à la maison ; une main qui cache des larmes…) et soudainement, sans que la moindre mécanique ne se soit dévoilée, LES BONNES ÉTOILES bouleverse. À mesure que l’on connaît ces personnages abîmés qui, ensemble, se font du bien, une mélancolie s’installe et une véritable lame de fond d’émotions grandit sans que l’on s’en rende compte, venant subitement tout dévaster sur son passage. De quoi inscrire LES BONNES ÉTOILES dans la continuité de TEL PÈRE, TEL FILS et UNE HISTOIRE DE FAMILLE, en une sorte d’officieuse trilogie.

De Hirokazu Kore-eda. Avec Song Kang-ho, Doona Bae, Gang Dong-won. Corée. 2h10. En salles le 7 décembre 2022

 

 

 

 

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