Cannes 2022 : REBEL / Critique

27-05-2022 - 09:00 - Par

Cannes 2022 : REBEL / Critique

D’Adil El Arbi et Bilall Fallah. Sélection officielle, séance de minuit

 

Le succès mondial de BAD BOYS 3 aurait pu les rendre paresseux. Et si Hollywood a bien compris leur talent et ne les a pas lâchés – depuis, ils ont tourné deux épisodes de la série MS MARVEL et le téléfilm BATGIRL –, Adil El Arbi et Bilall Fallah, eux, semblent avoir fermement décidé de ne pas jouer la facilité. Avec REBEL, ils reviennent dans leur Belgique natale et s’attaquent à un sujet délicat, le djihadisme, et le font avec une ambition assez folle. Rappeur connu des réseaux et membre d’une équipe de cross bitume, Kamal quitte Molenbeek et se rend en Syrie pour venir en aide aux populations civiles. Sur place, il va bientôt être embrigadé de force par l’État Islamique. En Belgique, son petite frère Nassim, 13 ans, devient la proie de recruteurs de Daesh… Il faut être de sacrées têtes brûlées, et de sacrés cinéastes, pour se jeter dans un tel sujet comme le font El Arbi et Fallah : en cherchant à tout prix à faire du cinéma. Du grand cinéma. Avec de l’ampleur, voire du spectacle, sans pour autant perdre de vue la dimension sociale, politique, émotionnelle et morale de leur entreprise. Celle-ci n’est d’ailleurs pas totalement réussie. L’interprétation pêche parfois dans les moments les plus denses et peine à servir pleinement les émotions de personnages multi-dimensionnels, projetés dans des situations complexes. Certains dialogues aussi, parfois trop écrits ou didactiques, expliquent ou surlignent ce que l’image avait parfaitement transmis, ne rendant pas totalement justice aux enjeux et à la dramaturgie. D’autres choix se révèlent même plus handicapants, à l’image de ces chansons extra diégétiques venant commenter ce qui se déroule à l’écran et qui, dans leur sentimentalisme à fleur de peau, entrent en conflit trop marqué avec la dureté du récit. Pourtant, REBEL reste de ces expériences si peu communes qu’elle en est impossible à balayer d’un revers de main. Car en regard de ces maladresses, El Arbi et Fallah accomplissent aussi un geste de cinéma qui confine parfois au sublime, menant le spectateur vers la sidération. Trois numéros musicaux entre rap, pop et danse contemporaine, où les cinéastes font preuve d’une totale maîtrise de la mise en scène, content l’indicible, expliquent la rage et les racines du mal, et viennent rebattre les cartes de tout ce que l’on pourrait attendre d’un tel film. Dans ces moments, REBEL pourrait s’effondrer et tout le contraire se produit : il arrive au cœur de son sujet et transmet une foule d’idées et d’émotions. Un sens visuel (et donc narratif) imparable que le duo met aussi à profit dans des séquences de guerre où, sans tomber dans le voyeurisme, ils mettent en scène le chaos avec énergie (certains plans longs se révèlent d’une réelle virtuosité), projetant le spectateur au côté des personnages. D’une dureté parfois insoutenable, REBEL ne détourne le regard d’aucune horreur, il la déconstruit même parfois avec talent – une hallucinante scène de tournage d’exécution, millimétré, pensé et répété –, et n’en perd pourtant jamais son sens du romanesque. En ressort un objet filmique étrange, que l’on peine à totalement appréhender ou apprécier tant il danse sur un fil ténu et qui, dans le même temps, dénote d’une témérité, d’une sincérité et d’un talent dont on ne peut qu’être admiratif et curieux.

De Adil El Arbi et Bilall Fallah. Avec Aboubakr Bensaihi, Amir El Arbi, Lubna Azabal, Tara Abboud. Belgique / France. 2h15. Prochainement

 

 

 

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