Cannes 2022 : AS BESTAS / Critique

27-05-2022 - 13:35 - Par

Cannes 2022 : AS BESTAS / Critique

De Rodrigo Sorogoyen. Sélection officielle, Cannes Première

 

Le cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen emprunte les voies du thriller montagnard pour s’attaquer à la xénophobie qui gangrène notre époque. Une leçon de cinéma.

Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs) se sont installés en Espagne, pas loin de la frontière, pour cultiver des terres, développer une agriculture bio et retaper des bergeries en ruine. S’opposant à la construction d’éoliennes au village, ils s’attirent la colère froide du voisin Xan (Luis Zahera, récompensé d’un Goya pour EL REINO) et de son frère Lorenzo (Diego Anido), diminué par un accident de cheval. Les insultes, les intimidations, les menaces se multiplient envers les Français et qu’Antoine décide de tout filmer pour porter plainte envenime d’autant plus cette situation explosive. Rodrigo Sorogoyen transpose dans les montagnes espagnoles la violence et l’irrespirable atmosphère des néo-westerns sauvages de Sam Peckinpah (CHIENS DE PAILLE) ou John Boorman (DELIVRANCE) et réinvente la figure du redneck façon homme des Pyrénées. Denis Ménochet, dont la silhouette est l’exacte opposée de celle de Dustin Hoffman, figure la réponse non violente (et si frustrante pour le spectateur) au harcèlement dont il est perpétuellement l’objet pendant une bonne partie du film. Diplômé, cultivé parce qu’il a parcouru le monde et lu des livres, sensibilisé à l’écologie, Antoine représente le Français gentrifieur venu sauver l’agriculture espagnole d’elle-même. Dans un spectaculaire plan séquence immobile – à l’opposé de l’opératisme et des mouvements virtuoses auxquels nous a habitué Rodrigo Sorogoyen –, le western qui opposait jusqu’alors les méchants fils à maman arriérés au bienveillant couple français opère une culbute qui, sans justifier les actes, parvient à griser le bien et le mal. Une écriture phénoménale qu’on retrouve dans l’éloquente structure de AS BESTAS, en deux temps : la première dévorée par les affrontements virilistes, l’escalade de testostérone, la perpétuelle démonstration de force ; une seconde toute aussi puissante mais plus retorse, plus cérébrale, plus féminine aussi. La mise en scène, elle, insuffle toujours de l’étrange et de la tension dans ces 2h17 de fable morale sur la xénophobie. « Ton vote compte autant que le mien, dit Xan à Antoine, et ce n’est pas normal, car tu es un étranger. » Se pose ainsi, sur une simple querelle de voisinage, entre deux hommes blancs et du même âge, aux mêmes mains calleuses et vouant le même amour à la terre, toute l’insensée question du racisme et du rejet de l’autre.

AS BESTAS s’ouvre sur des aloitadores qui attrapent et domptent à mains nues des chevaux sauvages de la région puis leur coupent la crinière pour les protéger des parasites. La manœuvre est filmée au ralenti, la renvoyant ainsi à sa dimension ancestrale presque mythique de l’Homme désirant désespérément, presque comme un dément, prouver sa force à la nature et la dominer. C’est un plan-parabole déjà iconique, que tous les westerns américains de l’Histoire jalousent probablement d’outre-tombe.

De Rodrigo Sorogoyen. Avec Denis Ménochet, Marina Foïs, Luis Zahera. Espagne. 2h17. En salles le 20 juillet 2022

 

 

 

 

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