LEILA ET SES FRÈRES : chronique

23-08-2022 - 11:50 - Par

LEILA ET SES FRÈRES : chronique

Si l’Iran avait trouvé son fabuliste en Asghar Farhadi, le pays s’est découvert un cinéaste complètement punk : Saeed Roustaee. Après LA LOI DE TÉHÉRAN, il atteint la perfection avec LEILA ET SES FRÈRES.

 

De 1 à 10 sur l’échelle du cinéma-léthargie, où placeriez-vous 2h45 de psychodrame familial iranien ? On vous voit et ce serait une grossière erreur ! Saeed Roustaee pousse les potars à 11 quand il faut dénoncer l’hypocrisie d’un pays de traditions pourri par l’argent-roi et le statu quo. Le coup de pied dans l’ordre établi, qu’il soit familial, social ou patriarcal, c’est Leila (Taraneh Alidoosti, LE CLIENT) qui l’assène et ça va dépoter. Elle va prendre la tête de la révolution, y embarquer ses quatre frères et se donner les moyens – parfois par la manière forte – de la gagner. On serait dans un très mauvais film si sa victoire était triomphante. Évidemment, LEILA ET SES FRÈRES, c’est plus compliqué que ça. Tout comme LA LOI DE TÉHÉRAN, le précédent film coup de poing de Saeed Roustaee, était irréductible à un thriller sur le fléau du crack en Iran mais se déployait surtout comme un témoignage des ravages du déterminisme.

Après une lutte syndicale décevante, Ali, joué par le magnétique Navid Mohammadzadeh (déjà dans LA LOI DE TÉHÉRAN) se retrouve au chômage. C’est le quatrième de la fratrie à être soudain sans emploi et Leila, l’unique fille, reste la seule à travailler. Le lien qui l’unit à Ali est fort et elle compte sur lui pour s’associer aux trois autres frères et monter une affaire. Mais entre les magouilles de Manuchehr (Payman Maadi), qui se verrait bien embarquer tout le monde dans une sale affaire digne d’un système de Ponzi, le manque de capital et la radinerie de leurs parents, Leila va lutter pour extraire la famille de la misère. Peu importe s’il faut « tuer » le père, insulter la mère et négocier derrière le dos de tout le monde, elle veut provoquer sa chance à elle et celle de ses frangins. Pourquoi se contenter de vivre chiche comme ses propres parents ? Et si c’est pour priver ses enfants d’un bonheur de l’émancipation, pourquoi en avoir ? Entreprenante, affranchie et résolument moderne, elle est celle qui, encore une fois, combat l’humiliation du déterminisme. LEILA ET SES FRÈRES pourrait décontenancer ceux qui aimaient le cinéma de genre présent dans LA LOI DE TÉHÉRAN car il ressemble davantage aux longs plaidoyers du trafiquant typiques de sa dernière partie. Chronique familiale oui, anti-film de mafia mais surtout autopsie d’une mécanique sociale inique camouflée par un système traditionnel qui se veut vertueux. Si elle pense à la place de ses frères, c’est qu’ils font souvent des mauvais choix, embourbés dans les réflexes d’un pays qui les gâte. Si Leila se rebelle contre son vieux, c’est parce que ce dernier dilapide l’argent pour s’acheter une place sociale sans valeur. Lui aussi veut s’extraire de son milieu mais il le fait dans l’égoïsme, quand Leila veut croire au groupe. Attendrissante puis franchement pathétique, la vieille génération en prend pour son grade, dans ce qu’elle tend à perpétuer d’une machine hiérarchique qui n’a plus aucune raison d’être dans le monde globalisé d’aujourd’hui. Le pamphlet politique est puissant derrière ce qu’on pourrait qualifier trop vite de cinéma Farhadien – la mise en scène de Saeed Roustaee est d’une précision exemplaire, surtout dans les rapports de force, mais moins dynamique que dans LA LOI DE TÉHÉRAN. Non, LEILA ET SES FRÈRES est post-farhadien : il a réglé le problème des Iraniens avec leur propre morale et leurs propres lois et a décidé de régler les comptes des Iraniens avec la morale piteuse des autres (et notamment des autres pays) et les lois d’un autre temps. Quitte à faire exploser la sacrosainte famille et même peut-être un peu le regretter. On était chez le cousin iranien de Francis Coppola et on avait à peine remarqué.

De Saeed Roustaee. Avec Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh, Saeed Poursamimi, Farhad Aslani, Payman Maadi. Iran. 2h45. En salles le 24 août

5EtoilesRouges

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.