TATOUAGE / L’ANGE ROUGE : chronique

07-11-2022 - 12:00 - Par

TATOUAGE / L’ANGE ROUGE : chronique

Deux films marquants de la filmographie d’un cinéaste japonais majeur où convergent sexe, violence, mort et portrait du patriarcat. À ne pas manquer.

 

En 1966, le réalisateur Yasuzo Masumura présente trois films au public japonais : TATOUAGE, L’ÉCOLE MILITAIRE DE NAKANO et L’ANGE ROUGE. Le premier et le troisième, évoluant dans le genre « eroguro », qui mêle érotisme et macabre, ressortent aujourd’hui en versions restaurées et permettent de découvrir ou de redécouvrir ce cinéaste, parmi les figures de proue de la Nouvelle vague nippone des années 50 et 60. Si, à première vue, TATOUAGE et L’ANGE ROUGE diffèrent – l’un se déroule à l’ère Edo, l’autre en 1939 ; l’un est en couleur, l’autre en noir et blanc ; l’un est un récit de vengeance, l’autre une tragédie en temps de guerre –, ils partagent au final bien plus de points communs. À commencer par leur actrice principale, l’impressionnante Ayako Wakao, muse de Masumura également vue chez Mizoguchi (LA RUE DE LA HONTE) ou Ozu (HERBES FLOTTANTES), qui donne ici vie à deux personnages de femme se débattant, chacune à sa manière, dans un monde patriarcal écrasant et humiliant. Dans TATOUAGE, Otsuya fuit sa famille aisée par amour mais, vendue de force pour être geisha, se retrouve avec un tatouage grotesque de femme araignée sur le dos. Comme si le dessin contaminait son âme, elle cherche vengeance et très vite, le sang des hommes coule à ses pieds. Nishi, l’infirmière qu’elle interprète dans L’ANGE ROUGE, incarne à l’opposé une figure rédemptrice et empathique qui, sur le front, et en dépit de ce que lui font subir les hommes, dont un viol, tente de soulager les âmes et les corps des soldats, tout en cherchant à imposer sa féminité et son désir. Suggestifs dans leur érotisme, TATOUAGE et L’ANGE ROUGE impressionnent pour leur maîtrise formelle, et notamment la précision de leurs compositions – le premier use à merveille du décor de la maison traditionnelle japonaise pour multiplier les cadres dans le cadre, tissant littéralement une toile dans l’image. Mais, près de soixante ans après, ils frappent surtout pour leur modernité. Certes, ils ne sont pas exempts d’une sexualisation assez datée mais jouent habilement des clichés, encore décriés aujourd’hui, de la femme-dragon et de la femme-objet pour, au final, livrer un portrait acerbe du patriarcat. Faibles, lâches, vils, violents, peu sûrs de leur masculinité qu’ils érigent pourtant en alpha et oméga de leur identité, les hommes réduisent les femmes aux clichés pré-cités, imposent la barbarie de la guerre et sont tour à tour détestables et ridicules. Rares sont les figures positives qui émergent de ce chaos et quand bien même : la tragédie et la mort leur refusent au final tout droit de cité, laissant le spectateur exsangue.

De Yasuzo Masumura. Avec Ayako Wakao. Japon. 1h26 / 1h35. En salles

4Etoiles

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.