ARMAGEDDON TIME : chronique

09-11-2022 - 08:49 - Par

ARMAGEDDON TIME : chronique

James Gray revient sur deux mois fondateurs de son enfance. Après la transcendance d’AD ASTRA, l’appel à lutter contre l’injustice. Hanté et bouleversant.

 

« Ne sois pas nerveux, sois audacieux », intime son grand-père (Anthony Hopkins) au jeune Paul (Banks Repeta). Ça n’aura peut-être rien d’évident mais, pour James Gray, ARMAGEDDON TIME relève de la plus grande des audaces. Ce cinéaste qui, depuis près de trente ans, officie sans frime mais avec élégance, opère avec son huitième long-métrage un geste radical : il se raconte. Son cinéma a toujours été très personnel, parfois indirectement autobiographique, mais jamais ne s’était-il autant révélé : ARMAGEDDON TIME romance deux mois de son enfance quand, en 1980, il entre en sixième et rencontre Jonathan (Jaylin Webb), Noir d’un quartier pauvre. Leur amitié frappe comme un coup de foudre. Mais Paul doit quitter l’école publique et entrer dans un établissement privé censé lui assurer un avenir. Leur amitié y survivra-t-elle ? Chez James Gray, l’ampleur émerge de l’intimisme, la retenue engendre des tumultes d’émotions. D’un cadre personnel naît ici le romanesque – si « À l’Est d’Eden » de Steinbeck suintait de LA NUIT NOUS APPARTIENT, c’est Tom Sawyer et Huckleberry Finn que l’on croirait ressuscités dans ARMAGEDDON TIME. Dès sa première scène, qui encapsule tous les enjeux, James Gray parvient à une vérité folle de l’enfance, à ses gestes et à ses jeux, dans les visages expressifs de ses acteurs, dans ce talent à mettre en scène leur insolence et leurs révoltes – magnifiques cadrages de Darius Khondji sur leurs visages et leurs regards. Il filme cet âge où le monde n’a pas encore contaminé tous les enfants, où certains n’ont pas encore adopté les rejets et les colères des adultes. Où on cherche « juste à faire rire » les copains. Pourtant, autour d’eux, le racisme, la lutte des classes et l’injustice opèrent déjà, dans les mots d’un prof, les remarques d’un parent, les commentaires d’autres élèves. Ce que raconte James Gray n’a rien de nostalgique. Film hanté dont les fantômes ne sont pas uniquement humains, ARMAGEDDON TIME confronte le cinéaste à ses fautes, aux erreurs du passé, à ce qu’il aurait aimé faire, dire et être, à ses résignations coupables, à ses rêves de grandeur aussi, nourris par une Amérique droguée à la réussite. Par là, ARMAGEDDON TIME observe avec dureté et pertinence les privilèges et le masque trompeur de la méritocratie. Les idées de déterminisme et de lutte des classes ont traversé tout son cinéma depuis LITTLE ODESSA, mais Gray se fait ici particulièrement incisif dans son discours politique, liant le début de l’ère Reagan au trumpisme et à la résurgence des populismes. « N’oublie jamais le passé, il pourrait bien revenir », entend-on. Alors, après avoir placé sa foi dans la résilience et la transcendance dans AD ASTRA, il modèle ici ses jeunes années en conte moral à l’attention de ceux qui se sentent démunis devant l’injustice. Ce qui, chez un autre, tirerait vers le prêchi prêcha, atteint chez James Gray une vérité terrassante. Peut-être parce que ARMAGEDDON TIME infuse dans une certaine douceur – et quelques effusions de colère –, un flot narratif presque dénué d’intrigue. Gray filme le quotidien, le banal, comme il le ferait de l’extraordinaire. Dépouillé des oripeaux du cinéma de genre, entièrement versé dans ce drame familial qu’il maîtrise à la perfection, il va encore un peu plus loin dans la véracité des sentiments, un naturalisme du cœur qui le place au-dessus de bien des cinéastes. Chez lui, un simple contre-champ sur un grand-père assis se mue en séisme d’émotions. « C’est dur de lutter, hein ? Continue d’essayer, ne renonce rien à ces salauds. » Il y a quelque chose de rassurant qu’un tel cinéaste, encore trop peu reconnu à sa juste valeur, ne baisse pas les armes.

De James Gray. Avec Banks Repeta, Jaylin Webb, Anne Hathaway, Jeremy Strong, Anthony Hopkins. États-Unis. 1h55. En salles le 9 novembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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