SAINT OMER : chronique

22-11-2022 - 17:56 - Par

SAINT OMER : chronique

Récompensé au dernier Festival de Venise, le premier film de fiction d’Alice Diop sidère par sa puissance, sa grâce et son mystère. Un film de procès sur ce que c’est d’être femme, d’être mère, d’être fille.

 

Alice Diop vient du documentaire. La cinéaste a en effet souvent posé sa caméra au cœur du réel, comme avec NOUS, beau film le long d’une ligne de RER. Mais toujours, son regard captait les corps, les âmes et faisait émerger des figures nobles, des héroïnes, des héros, comme implicitement attiré par la fiction. SAINT OMER procède de ce même glissement du regard à travers les pas d’une jeune romancière, universitaire, observatrice silencieuse d’un procès. C’est comme si avec SAINT OMER, Alice Diop nous emmenait dans la fabrique d’une émotion, mettait en scène par ce dispositif simple et pourtant puissant, la fonction énigmatique de l’empathie et de l’identification. Qu’est-ce qui fait de l’autre une partie de moi ? Comment ce qui m’est étranger peut soudain me toucher, profondément ? Sous l’égide de Marguerite Duras, magnifiquement citée dans une séquence liminaire grave et puissante, SAINT OMER devient le récit d’un regard. Laurence Coly est accusée d’avoir noyé son enfant. Elle apparaît, silencieuse, devant une cour et son histoire, son procès, devient le cœur du film. Radicale dans son dispositif minimaliste, Alice Diop fait une confiance totale aux pouvoirs de la parole, à la justice comme expression de soi et filme avec une précision, une intelligence de chaque plan, chaque coupe, le mystère de l’autre. Qui est Laurence Coly ? Est-ce que son histoire explique son geste ? Comme un effet réfléchissant, ce cœur du film éclaire Rama, la romancière, ce regard qu’Alice Diop filme comme un leitmotiv. À travers l’histoire de Laurence se révèle alors l’histoire de Rama, la peur de la folie, le poids d’être fille, la violence d’être femme. Sans aucun didactisme, Alice Diop capte ce que la parole des autres, leurs parcours, leurs détresses, leurs mystères racontent de nous et propose à travers ce dispositif miroir une expérience rare de spectateur. Quand l’avocate se tourne vers la caméra, que notre regard de spectateur effacé par la magie du cinéma éclate soudain au cœur de l’écran, le trouble nous saisit. Alors, dans une séquence finale dévastatrice, d’une beauté énigmatique, personnages et spectateurs s’éloignent ensemble sur la voix sublime et accidentée de Nina Simone. L’intime et l’universel se mélangent jusqu’à ne former plus qu’un. C’est là tout le propos politique d’un film qui, à l’instar l’an passé de L’ÉVÉNEMENT d’Audrey Diwan, met en scène la place du spectateur, l’interroge sur cette fonction depuis bien trop longtemps privilégiée et silencieuse. Le cinéma comme une école du regard, une façon de rester alerte.

D’Alice Diop. Avec Kayije Kagame, Guslagie Malanda, Valérie Dréville. France. 2h02. En salles le 23 novembre

4Etoiles

 

 

 

 

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