SHE SAID : chronique

22-11-2022 - 18:05 - Par

SHE SAID : chronique

Entre SPOTLIGHT et LES HOMMES DU PRÉSIDENT, l’enquête captivante de celles qui ont fait tomber Harvey Weinstein.

 

Même si des longs-métrages, comme SPOTLIGHT ou LES HOMMES DU PRÉSIDENT, ont prouvé que la trivialité du journalisme d’investigation était un sujet de romanesque, il est encore surprenant et grisant de voir une cinéaste s’emparer d’une enquête rébarbative et d’en faire du cinéma. Quoi de plus compliqué que de filmer des conversations, des mots déposés sur une boîte vocale, des reporters qui observent leur rédacteur en chef lire des notes, des coups de fil laconiques, des relectures d’un article qui part bientôt en impression et de maintenir l’intérêt du spectateur et une tension en continu ? L’issue de l’enquête de Jodi Kantor et Megan Twohey est connue : Harvey Weinstein, le plus gros producteur d’Hollywood, va tomber sous les accusations de viols, d’agressions sexuelles et de harcèlement, recueillies entre autres dans leur quotidien, le New York Times. SHE SAID, construit comme un thriller, s’intéresse au comment. Comment ces deux journalistes ont eu vent de la réputation de l’homme d’affaires, quelles sont les premières femmes qu’elles ont approchées, quelles sont celles dont les témoignages ont été déterminants, qui sont les hommes qui ont pu aider, qui n’a pas pu parler. Qui frémit encore en entendant le nom d’Harvey Weinstein. Le film répond par le portrait de deux grandes professionnelles et qui, sachant tour à tour dépassionner et passionner leur mission, sont allées chercher la vérité, grâce à une éthique admirable et un sens discret de la sororité. C’est un travail difficile pour Zoe Kazan et Carey Mulligan : leur jeu quotidien, presque banal, repose sur le texte, beaucoup de texte, le pur échange avec les partenaires, les regards bien placés et des déplacements bien réglés. Du minimalisme spectaculaire. Dans cette précision, si ce n’est économie, du geste et de la parole, dans ce ‘tout pour l’enquête’ qui en ferait presque des personnages-fonction, les décrochages vers l’intime prennent une dimension émotionnelle puissante. Les scènes, brèves et rigoureuses, de leur vie privée, auprès de leurs maris et de leurs enfants, sont aussi des points d’entrée sur le sens profond de leur histoire. Le film s’exprime beaucoup par contraste : qu’elles soient entourées par leur famille renvoie directement à l’isolement des victimes de Weinstein ; qu’elles soient aimées par leur conjoint renvoie à cette misogynie systémique qu’il faut combattre ; qu’elles soient inconditionnellement soutenues par leur patron renvoie au calvaire de celles qui subissent humiliation et harcèlement de la part de ceux qui les dominent. Lorsque Weinstein apparaît, masse informe définie par sa corpulence et sa démarche, Maria Schrader filme son dos et sa nuque pour le réduire au monstre sans face qu’il est en passe de devenir, alors qu’elle peut par ailleurs admirer longuement les visages songeurs de ses héroïnes. Sous ses airs simples, la mise en scène de Schrader est subtile et audacieuse : des plans fixes pour illustrer le récit d’une agression, des plans tragiques sur des couloirs d’hôtel… Et au final, une foi inconditionnelle en la sobriété de son point de vue et en la compassion du spectateur. Le thriller se transforme en portrait de la condition des femmes, de ce qu’elles subissent sous les coups de la misogynie à leur résilience déconcertante.

De Maria Schrader. Avec Carey Mulligan, Zoe Kazan, Samantha Morton. États-Unis. 2h09. En salles le 23 novembre

4Etoiles

 

 

 

 

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