KANUN – LA LOI DU SANG : chronique

07-12-2022 - 10:32 - Par

KANUN – LA LOI DU SANG : chronique

Le troisième film de Jérémie Guez, décidément prolifique, est le plus réussi dans ce qu’il crée d’intimité entre les personnages et les spectateurs.

 

En tant qu’écrivain, Jérémie Guez possède un style simple et fiévreux, et écrit des héros renfermés dont le rapport au monde reste sauvage. Occupant leur espace mental, les histoires révèlent alors leurs émotions écorchées, un ardent désir de s’extraire de la violence alentour. En tant que cinéaste, grâce aux images, il apporte à ces sentiments modestes du romanesque et même du romantisme. La figure protectrice incarnée par Roland Møller dans BLUE BIRD, l’homme-enfant qu’était Matthias Schoenaerts dans SONS OF PHILADELPHIA : la masculinité maximaliste atteint les formidables nuances de noir qui font les meilleurs récits criminels. En apportant du féminin à ces histoires, il lui donne l’opportunité d’être encore plus complexe. Face à des héroïnes armées et armurées pour affronter le virilisme de leur milieu, les héros, eux, se troublent, dévoilent des timidités, des douceurs qu’ils s’étaient interdits. Il a sûrement fallu en passer par « Les Âmes sous les néons », son dernier roman, un livre syncopé, brutal et baignant dans la mort, pour faire de KANUN un film sec, certes, mais plus doux et lumineux. Les deux récits s’ancrent dans les quartiers rouges (le premier à Copenhague, le second à Bruxelles), là où les hommes ne connaissent guère plus que le sexe tarifé et visent la guerre de territoire. Une petite main tombe amoureuse, voilà le dernier point commun. Enfant ciblé par une vendetta, Lorik (Waël Sersoub, parfait dans son rôle) a fui l’Albanie pour rejoindre la Belgique où il travaille désormais pour la mafia locale. Il rencontre Sema (Tugba Sunguroglu, force irrésistible de caractère), étudiante turque, qui reste d’abord indifférente à ses charmes comme à ses activités d’homme de main. Mais quand sur Lorik s’abat le kanun, loi qui réclame son sang pour laver le crime commis par sa famille il y a des années, ils se rapprochent. Ainsi dans le néo-noir et ses nuits diaprées par les néons se fondent l’histoire d’amour post-adolescente et l’apprentissage sentimental d’un garçon qui n’a rien connu d’autre que la violence des hommes. KANUN est bruyant, menaçant, lapidaire comme il sait être doux, drôle et charmant, mais toujours poussé par l’urgence de vivre de ses personnages, et la faim de cinéma de son metteur en scène. La caméra, mobile, parfois audacieuse, capte la puissance des nuits urbaines, les noirs profonds, les bleus et les rouges intenses, et la fébrilité des petits matins, vaguement brumeux. KANUN fraie un terrain de fiction qui va du réalisme typique de l’Europe du nord au fantasme du film de gangsters pour finalement s’assumer comme du cinéma-cinéma, de plus en plus rare sur les écrans français. 

De Jérémie Guez. Avec Waël Sersoub, Tugba Sunguroglu, Arben Bajraktaraj. France. 1h35. En salles le 7 décembre

4Etoiles

 

 

 

 

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