THE FABELMANS : chronique

21-02-2023 - 15:46 - Par

THE FABELMANS : chronique

Steven Spielberg explore ses blessures de jeunesse et exorcise ses plus grandes peurs. Un très grand film.

 

« La vie n’a rien à voir avec les films », dit-on à Sammy, double de Steven Spielberg dans son récit autobiographique THE FABELMANS. Pourtant, des vérités existentielles ont toujours émergé des histoires inventées par le cinéaste, peu importe qu’elles aient été plus grandes que notre quotidien, qu’elles aient mis en scène des aventuriers archéologues, des extra-terrestres perdus sur Terre ou des escrocs adolescents. Depuis cinquante ans, Steven Spielberg met la vie en boîte, il la magnifie, l’infuse dans un merveilleux inquiet, souligne ce qu’elle a de terrifiant tout en lui opposant la possibilité d’un espoir. Quoi de plus réel que ce fils imitant son père dans LES DENTS DE LA MER ? Que ce gamin levant la main vers cet avion, objet de désir inatteignable, symbole d’une innocence perdue, dans EMPIRE DU SOLEIL ? Que les adieux de E.T. à Elliott, prédiction terrassante de tous les deuils à venir ? Les films de Steven Spielberg ont toujours tout eu à voir avec la vie, peut-être parce que sa propre existence, son passé de gamin prodige, brutalisé à l’école, meurtri par le divorce de ses parents, a constamment nourri ses histoires. Voilà ce qu’il raconte aujourd’hui dans THE FABELMANS, geste bouleversant d’un cinéaste qui déchire le voile du secret pour s’exposer à nu, laissant à ses spectateurs tous les indices pour relier les points et constater l’ampleur des confidences qu’il nous faisait depuis toujours. Ses films ont tout à faire avec sa vie et ont participé à bâtir un peu la nôtre, celle de deux voire trois générations à qui il a appris à vivre selon des principes dont la réalité semblait le plus souvent dépourvue. Ses films rattachés à des souvenirs, à des émotions, des lieux et des personnes disparues. Comment, dès lors, rédiger la critique de THE FABELMANS sans avoir le sentiment de juger notre propre album de famille ? Cet enfant de 6 ans qui découvre SOUS LE PLUS GRAND CHAPITEAU DU MONDE n’est-il pas un peu celui qui a ouvert les yeux en rencontrant E.T. ou le T-Rex de JURASSIC PARK ? C’est pourtant bien dans cette expérience viscérale de lien impalpable, méta jusqu’à l’inexplicable, avec le film, que réside toute sa magie. Là où Spielberg a souvent embrassé la notion de cinéma total et de storytelling-roi pour mieux décrire la condition humaine, il lâche prise dans THE FABELMANS et s’adonne à un récit iconoclaste, proche de la chronique, où la dramaturgie s’insinue par accumulation de moments de vie joyeux ou douloureux, pragmatiques ou fantasques. Dans cette dichotomie entre loufoquerie et sérieux résident deux figures tutélaires auxquelles Spielberg rend hommage : ses parents, Leah l’artiste et Arnold le scientifique – en toute fin de générique, ultime élan de pudeur, le film leur est dédié. Jouant au départ presque sur la note d’une sitcom des années 50, THE FABELMANS surprend, détourne l’attention, amuse et charme pour mieux désarmer et mener au drame, à l’inconfort, à des dilemmes insolubles et des peines incurables – « On ne peut pas tout réparer. Parfois, on ne peut que souffrir. » Au pardon, aussi. La justesse de l’écriture de Spielberg et Tony Kushner, qui encapsulent parfois toute la complexité d’une émotion en quelques mots, n’a d’égale que la précision de la mise en images – deux exemples parmi d’autres : l’utilisation subtile du grand angle lors de moments d’angoisse et de panique ; l’ouverture du film où, dans un long master, la caméra va de personnage en personnage. Car évidemment, impossible de réduire THE FABELMANS à un drame familial, il est aussi une grande théorie sur la puissance de l’image, ce qu’elle crée d’éternité, les vérités qu’elle déterre, les peurs et complexes qu’elle fait naître, ce qu’on décode de nous en elle, et, par ricochet, une analyse très touchante de l’humilité de Spielberg face à l’incroyable puissance de sa création – comme en témoigne une scène splendide entre Sammy et celui qui le martyrise au lycée, lors du bal de promo. Dans ces élans théoriques, peut-être le cinéaste se révèle-t-il totalement et reconnaît-il ce que l’on avait plus ou moins déjà senti : chacune de ses histoires aura été un moyen d’exorciser ses peines, de donner sens au monde, de ne pas s’effondrer devant la peur de ne rien contrôler. À tous les spectateurs, désormais, de comprendre, si ce n’est déjà fait, le sens et le rôle qu’auront eu pour eux les attaques d’un grand requin blanc ou le départ déchirant d’un extra-terrestre perdu sur Terre.

De Steven Spielberg. Avec Gabriel LaBelle, Michelle Williams, Paul Dano, Seth Rogen. États-Unis. 2h30. En salles le 22 février

Note : 5/5

 

 

 

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