N’OUBLIE PAS LES FLEURS : chronique

28-02-2023 - 15:46 - Par

N’OUBLIE PAS LES FLEURS : chronique

Avec son premier long-métrage, le producteur et écrivain Genki Kawamura impose la justesse de son point de vue et un sens remarquable de la mise en scène.

 

Une fleur fanée dans un vase effilé, quelque pétales éparpillés sur la table. Un appartement en apparence vide, de nuit. Une musique débute, la caméra se décale et l’on distingue une femme jouer au piano : instantanément, le spectateur se retrouve confronté à un trouble entre extra-diégèse et diégèse, entre ce qui semblait être du score et ce qui s’avère finalement faire partie du tissu narratif. Ce trouble des sens caractérise toute la première scène de N’OUBLIE PAS LES FLEURS : ce (faux) plan-séquence entremêle bientôt les temporalités, sans coupe visible. Puis, plus globalement, ce flou entre les lieux, les époques, entre le réel et l’imaginé, gagne l’entièreté du premier long-métrage de Genki Kawamura, connu comme producteur d’animés tel que YOUR NAME. Yuriko (Mieko Harada), sexagénaire, perd peu à peu la mémoire. Distant, de prime abord peu intéressé par les activités de sa mère, Izumi (Masaki Suda) comprend un soir de réveillon que quelque chose cloche. Lorsque, quelques semaines plus tard, Yuriko est diagnostiquée de la maladie d’Alzheimer, un tourbillon de souvenirs, douloureux et joyeux, emporte le fils, tandis que ceux de sa mère s’évanouissent inexorablement. Alors que N’OUBLIE PAS LES FLEURS aurait pu tirer vers le mélodrame – sans que cela ne pose problème en soi –, Genki Kawamura plonge son récit dans une sorte de stase où, en dépit de la progression de la maladie de Yuriko et des plans d’avenir d’Izumi, ce dernier semble empêtré dans la douleur d’un passé irrésolu et celle d’un présent insoluble. Émerge alors une mélancolie implacable, celle qui accompagne l’incapacité à créer une ultime communication avec l’être malade et l’impuissance de celui qui reste à avancer sans résilience. Sans guère de cris ni d’effusion de larmes, mais pourtant avec une grande sensibilité qui, à plusieurs moments, bouleverse, Kawamura prouve son sens de la mise en scène, notamment sa capacité à mettre en sons et en images ce que vit sa protagoniste avec une simplicité particulièrement efficace. Les boucles d’hallucinations de Yuriko prennent à l’écran des atours d’une grande banalité, accentuant leur réalisme – elle effectue le même tour, encore et encore, dans les allées d’un supermarché – ; les sons du passé et du présent se superposent, sorte de rémanence lointaine dont on ne capte que les derniers échos ; les souvenirs s’intercalent comme des flashs évanescents, à peine palpables. Peu à peu, alors que la mère sombre, emportant avec elle les éventuelles excuses pour ses erreurs, les souffrances passées du fils ressurgissent, avec leur besoin d’apaisement et d’explications. Ce nœud dramatique impossible à régler fait toute la beauté de N’OUBLIE PAS LES FLEURS : parce que sa mère disparaît sans en avoir conscience, Izumi doit accomplir seul son travail de pardon et de guérison. Une justesse et une subtilité qui mènent N’OUBLIE PAS LES FLEURS à une séquence finale d’une beauté amère et terrassante, où les regrets se confondent avec le soulagement.

De Genki Kawamura. Avec Mieko Harada, Masaki Suda, Masami Nagasawa. Japon. 1h44. En salles le 1er mars.

Note : 4/5

 

 

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