THE WHALE : chronique

07-03-2023 - 11:49 - Par

THE WHALE : chronique

Habitué des exercices d’empathie, Darren Aronofsky nous présente Charlie, quinquagénaire obèse qui solde ses comptes. D’une puissance que seuls de rares cinéastes savent maîtriser.

 

Chez Darren Aronofsky, la figure du père a été celle d’un mentor (PI), d’une absence pure et simple (REQUIEM FOR A DREAM, BLACK SWAN). Elle a été le symbole du Dieu Créateur, dans tout ce que cela implique de fanatisme et d’oppression (NOÉ, MOTHER !). Avec THE WHALE, le cinéaste revient à un regard plus littéral, comme dans THE WRESTLER, avec lequel il partage beaucoup, jusqu’à son cœur dramatique : la volonté d’un père de renouer avec sa fille. Charlie (Brendan Fraser) vit seul dans un petit appartement d’où il donne en distanciel des cours de lettres. Son amie Liz (Hong Chau), infirmière, surveille sa santé fragile. Charlie pèse 270 kilos. Lorsque son corps craque, il lit une mystérieuse dissertation sur « Moby Dick ». Liz lui apprend bientôt qu’il ne lui reste plus longtemps à vivre. Il contacte Ellie (Sadie Sink), sa fille, qu’il n’a pas vue depuis des années…

En sept films, Darren Aronofsky a imposé un style fait d’énergie et de mouvements. Depuis THE WRESTLER, sa caméra colle même à ses personnages, les suit dans chacun de leur geste et déplacement, en un ballet de cinéma vérité tour à tour aérien ou pesant. Avec THE WHALE et son personnage cadenassé dans un deux-pièces, il se confronte donc à une négation de tout ce qui fait son cinéma. Pourtant, parce qu’il est un des grands réalisateurs contemporains, il dompte THE WHALE et, bien que le film adapte une pièce de théâtre, le ramène constamment au cinéma, avec ce vocabulaire qui lui est cher fait de cadrages marqués (plongées, contre-plongées), de plans circulaires, de gros plans sur les visages. Un langage qui nous projette aux côtés des personnages et dans leur subjectivité, authentique centrifugeuse à empathie. La caméra ne détourne le regard d’aucune difficulté, observe ce corps que la société refuse d’accepter ou de voir. Elle le filme nu sous la douche, en lutte avec le moindre geste, dans son intimité masturbatoire. Elle capte son impossibilité au plaisir, chaque rire, chaque orgasme pouvant le conduire à l’infarctus. Doloriste comme pouvait l’être REQUIEM FOR A DREAM, THE WRESTLER ou BLACK SWAN, THE WHALE partage frontalement la réalité de Charlie, parfois jusqu’à l’inconfort du spectateur tant sa souffrance physique et intérieure transpire à l’écran. Car THE WHALE, aussi cinématographique soit-il, conserve également la théâtralité du matériau originel. Sa mécanique narrative (des jours de la semaine comme autant de scènes formant des actes), sa graduelle montée vers la tragédie et ce que ça implique en colère, en larmes et en cris, son utilisation du symbolisme (Charlie, victime et bourreau de son corps, est autant Moby Dick que le Capitaine Achab) en font une expérience où la subtilité (émotionnelle, intellectuelle) n’empêche jamais l’outrance – de la rage, de la peine.

Darren Aronofsky assure que l’écrivain Hubert Selby Jr. lui a appris qu’en « montrant le plus sombre des ténèbres, on finit par révéler la lumière ». En dépit de ce que raconte THE WHALE de la souffrance de Charlie, de ses regrets, de son deuil, de l’indifférence de la société à son cas, de l’oppression des homosexuels par la religion, THE WHALE vise la transcendance, élan proche de celui de THE FOUNTAIN. Darren Aronofsky et le scénariste / dramaturge Samuel Hunter font de Charlie une figure positive, résiliente, miséricordieuse, qui cherche la concorde et l’amour. En explorant les rouages de la compassion chez son protagoniste, THE WHALE force le spectateur à sonder les siens. D’aucuns ne le supporteront peut-être pas, tant Aronofsky, avec l’aide d’acteurs et actrices extraordinaires d’intensité, met ici à nu des émotions particulièrement intimes et complexes. Le voyage proposé par THE WHALE et le lâcher-prise qu’il requiert en valent néanmoins la chandelle, énième témoignage de la puissance du cinéma comme moteur de la compréhension inconditionnelle de l’altérité, de soi et du monde.

De Darren Aronofsky. Avec Brendan Fraser, Hong Chau, Sadie Sink, Samantha Morton, Ty Sympkins. États-Unis. 1h57. En salles le 8 mars

Note : 4/5

 

 

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