ETERNAL DAUGHTER : chronique

22-03-2023 - 16:35 - Par

ETERNAL DAUGHTER : chronique

Une mère et sa fille, un hôtel dans le brouillard qui paraît désert, des bruits dans la nuit… Joanna Hogg joue avec le film de fantômes et bouleverse. Aussi beau qu’étrange, une expérience inoubliable de cinéma.

 

Avec la sortie simultanée, l’année dernière, des deux volets de son diptyque THE SOUVENIR, on a pu découvrir l’art étrange et bouleversant de l’autrice britannique Joanna Hogg. Une façon de faire du cinéma comme Proust partirait « à la recherche du temps perdu », une manière de courir après les fantômes, de s’y confronter, de les bastonner ou de les étreindre par le pouvoir du cinéma. Et c’est peut-être ce qui impressionne et émeut le plus dans son œuvre : la croyance. Joanna Hogg fait du cinéma parce qu’elle y croit. Parce que, pour elle, la caméra capte ce que la vie perd. Son nouveau film, ETERNAL DAUGHTER, prolonge ce geste avec une grâce et une puissance folles. Deux femmes, une mère âgée et sa fille, s’installent dans un établissement hôtelier isolé. Le décorum gothique est là, le brouillard évidemment qui entoure tout, le parquet qui craque, les pièces immenses et pourtant vides, les ombres… Il n’y a quasi personne dans cet hôtel et on est déjà au cinéma. Le naturalisme se dissout par un choix radical et passionnant qui installe d’emblée un sentiment étrange. Cette mère et cette fille sont interprétées par la même actrice, Tilda Swinton, caméléon dont la double performance incroyable irradie chaque plan. Elle est l’une et l’autre par la simple magie du champ-contrechamp et si l’effet surprend au départ, la singularité de la mise en scène de Joanna Hogg vient nous aider à accepter ce parti pris. Chez elle, le monde semble toujours au bord de s’évanouir, de disparaître là devant nous et cette bâtisse qui semble hantée de devenir le lieu de toutes les menaces mais aussi un cocon pour le personnage de Julie qui tente d’écrire un film sur cette mère. Si dans THE SOUVENIR, Joanna Hogg utilisait les artifices du mélodrame pour raconter l’illusion d’une passion et la violence de sa chute, ici ce sont les atours du film gothique qui permettent à la cinéaste de faire résonner son sujet. Le passé qui hante, la difficulté à le laisser s’en aller, la peur de l’inconnu deviennent les moteurs d’un film résolument inquiet. Quelque part entre SHINING de Stanley Kubrick et L’ANNÉE DERNIÈRE À MARIENBAD d’Alain Resnais, ETERNAL DAUGHTER fait dialoguer le genre avec la grammaire du cinéma moderne. L’expérience est exigeante certes mais pour peu qu’on s’y abandonne, elle devient un grand moment qui culmine vers un dénouement bouleversant. Le cinéma comme une lettre d’amour, un dernier adieu, une séance de spiritisme aussi effrayante que nécessaire. Et peut-être quelque part, le moyen pour une cinéaste de faire la paix avec ses propres fantômes. Magnifique.

De Joanna Hogg. Avec Tilda Swinton, Joseph Mydell, Carly-Sophia Davies. Grande-Bretagne. 1h36. En salles le 22 mars

Note : 4/5

 

 

 

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