BEAU IS AFRAID : chronique

11-04-2023 - 07:37 - Par

BEAU IS AFRAID : chronique

Un quinqua névrosé doit rendre visite à sa mère et tout déraille en un typhon de parano et d’étrangeté. Un grand film mal aimable.

 

Dans son court-métrage BEAU (2011), Ari Aster filmait la fièvre paranoïaque d’un homme qui, en partance chez sa mère, se faisait voler son trousseau de clés laissé sur sa porte entrouverte. Une situation reprise, puis étirée en une spirale cauchemardesque dans BEAU IS AFRAID. Peut-être encore plus qu’HÉRÉDITÉ, qui amalgamait figures et tonalités atrabilaires déjà explorées par Aster dans ses courts-métrages, BEAU IS AFRAID a tout d’un film-somme, nourri par le cinéaste depuis plus d’une décennie. Le Skid Row – puissance mille – qui entoure l’appartement de Beau rappelle son court C’EST LA VIE ; le couple possessif campé par Amy Ryan et Nathan Lane (dans la partie bancale du film), semble sorti de MUNCHAUSEN ; les rapports de Beau avec sa mère rappellent ceux de l’actrice de BASICALLY. Même les histoires de pénis difformes de THE TURTLE’S HEAD trouvent ici écho. Dans ce schéma réside peut-être la clé du cinéma d’Aster, créateur de films-mondes. SON monde, si ce n’est absurde, au moins décalé, qu’il ne cesse de creuser, encore et encore. Un monde mental, cauchemardesque et drôle, inquiétant et dérangeant. BEAU IS AFRAID débute sur une naissance, images indistinctes, sons étouffés. Une séquence amniotique qui propulse le spectateur dans les pompes de ce personnage pourtant si difficile à aimer et qui, pendant trois heures d’un parcours à l’intrigue fuyante dont les contours se forment et se délitent dans un mouvement incessant de flux et de reflux, va devenir le héraut des mystères débilitants de l’existence – à la naissance liminaire suit d’ailleurs une scène de séance de psychothérapie. BEAU IS AFRAID en deviendrait presque un synonyme d’expérience de cinéma. Le film fourmille de détails, certains trop fugaces pour être traités par notre cerveau mais évidemment essentiels dans la construction de cet univers si subjectif qu’il en devient immersif et oppressant. Car, Aster étant Aster, cinéaste de l’artificialité et du trouble qu’elle engendre, BEAU IS AFRAID est un film de mise en scène, fait de plans impossibles, d’images évocatrices, de longs zooms et plans-séquences pesants, de match cuts millimétrés, d’idées remarquables (un segment en animation et carton-pâte), tout au service d’un grand film sur la mise en scène. Sur nos vies, nos névroses, nos aspirations et notre rapport à l’autre comme mise en scène, consciente ou inconsciente, voulue ou subie. La mise en scène comme pouvoir sur soi et l’autre. Au point qu’un mystère demeure : la diégèse est-elle réelle ou la projection, même partielle, de la psyché de Beau ? Dans le dernier acte, brillant de théâtralité avec sa bâtisse à l’escalier comme un brin d’ADN, résonnent les angoisses d’atavisme d’HÉRÉDITÉ. Et le souvenir d’un dialogue de C’EST LA VIE : « Vous savez ce que disait Freud de l’horreur ? C’est quand la maison n’a plus l’air d’en être une. Quand elle devient effrayante. » Tel un foyer glaçant qu’on aime néanmoins, intimidé, BEAU IS AFRAID fascine et repousse, dans un même mouvement. Rien ne pourrait nous inciter à le revoir. Mais on n’a qu’une seule envie : y revenir.

D’Ari Aster. Avec Joaquin Phoenix, Patti LuPone, Parker Posey. États-Unis. 2h59. En salles le 26 avril

 

Note : 5/5

 

 

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