SÉRIES MANIA 2023 : le bilan

12-04-2023 - 10:47 - Par

SÉRIES MANIA 2023 : le bilan

Quelles étaient les tendances séries de l’année au festival lillois ? On fait le point.

 

Une affaire de paradoxe. Si côté professionnel, on s’inquiète un peu de l’état de la production avec des chiffres d’investissement trop stables pour être encourageants, côté public le festival Séries Mania a connu un nouveau pic de fréquentations avec plus de 85 000 visiteurs (70 000 l’année dernière). La Peak TV lâche du lest mais les salles se remplissent de plus en plus et les files d’attente démontrent un réel enthousiasme à découvrir des séries du monde entier et faire la rencontre de celles et ceux qui les font.

Paradoxe aussi entre une actualité extérieure qui brûle et une bulle festivalière qui célèbre acteurs, actrices, créateurs et créatrices, réduisant ainsi l’écart entre eux, peu habitués à des projections physiques. Le 21 mars, ces deux états se seront même rencontrés le temps d’un envahissement de tapis mauve par des manifestants, rappelant que l’art sériel est aussi et surtout une fenêtre sur le monde.

Cédric Klapisch a fait l’ouverture avec SALADE GRECQUE, suite de sa trilogie L’AUBERGE ESPAGNOLE, POUPÉES RUSSES et CASSE-TÊTE CHINOIS. Un choix évidemment événementiel mais aussi le témoignage des tendances des différentes sélections. S’y jouent les inquiétudes environnementales, l’idée de la transmission et de l’héritage, les mouvements migratoires et le repli sur soi. Des thèmes que l’on a pu retrouver dans de nombreuses séries du festival, venues du monde entier et avec quelques nouvelles destinations (l’Iran, la Grèce, l’Inde et le Pakistan).

 

LA NATURE SE REBIFFE

C’est peut-être pour mieux rappeler le manque d’actions de nos gouvernements sur l’urgence climatique que l’on retrouve autant de séries mettant en scène une nature qui chausse les gants pour mener le combat. C’est une tempête solaire dans l’espagnole APAGON qui fait tomber les disjoncteurs du pays et plonge la nation dans un chaos général (Rodrigo Sorogoyen réalise le premier épisode). C’est la faune aquatique qui s’énerve dans ABYSSE, coproduction internationale à voir prochainement sur France Télévision. C’est une pandémie dans THE FORTRESS (récompensé du prix du meilleur scénario dans la sélection internationale) qui motive la Norvège à se replier sur elle-même et fermer ses frontières.

Prendre soin de la planète passe désormais par des actes forts, c’est le sujet de A THIN LINE, thriller allemand où deux sœurs jumelles éco-activistes hackeuses s’opposent sur des valeurs morales et éthiques quant à la nature de leurs actions.

 

TRANSMISSION ET HÉRITAGE

Ce qu’on laisse et ce qu’on récupère. Certaines séries du festival ont ainsi appuyé sur nos responsabilités individuelles à l’intérieur d’un ensemble plus grand, que ce soit à l’échelle de la société ou à l’intérieur du noyau familial. Des luttes fraternelles, générationnelles où s’opposent parfois les logiques du sang et d’héritage symbolique. Dans LES GOUTTES DE DIEU (le 21 avril sur Apple TV+), adaptation du manga de Tadashi Agi, on se bat pour l’héritage d’un père pour qui le vin était toute sa vie, quitte à pousser au duel sa fille biologique et son fils spirituel. Plus violent est le dilemme qui secoue les deux héroïnes de A THIN LINE ou encore ceux de RED SKIES, série israélo-palestinienne dans laquelle deux amis nés le même jour vont se retrouver dans deux camps opposés parce que l’un décide de reprendre le leadership de la lutte armée après la mort de son frère. 

Dans DE GRÂCE, série française à voir prochainement sur Arte, les familles se mélangent entre celle des Leprieur et celle des dockers. Et que faire quand le patriarche est une figure imposante par son engagement politique et syndical ? L’indo-pakistanaise BARZAKH fait dans la déchirure familiale dans un ensemble fantastique proche du conte où un père despote usé électrise ses ouailles. Vivre sous l’ombre de, voir l’héritage comme un fardeau : les séries semblent indiquer une fracture voire un rejet quant aux outils qu’on laisse aux générations futures, décidées à trouver des solutions par leurs propres moyens pour bâtir un monde meilleur ou plus fonctionnel. Comme une utopie que l’on entrevoit dans SPLIT d’Iris Brey (meilleure musique dans la Compétition Française), série disponible prochainement sur France TV Slash qui capte une histoire d’amour entre une actrice et sa cascadeuse.

Enfin il y a la question de la parentalité et de ce qu’on en fait. Celle à venir et non désirée de l’héroïne de la grecque MILKY WAY ; celle qui unit les personnages de l’israélienne A BODY THAT WORKS (meilleures actrices pour Rotem Seal et Gal Malka dans le Panorama International) où un couple infertile fait appel à une mère porteuse ; celle qui déchire le couple de BEST INTERESTS, série de Jack Thorne avec Michael Sheen (lauréat du prix d’interprétation masculine) où des parents doivent décider de l’euthanasie de leur fille ; enfin celle que l’on ampute dans la canadienne LITTLE BIRD qui rappelle « la rafle des années 60 » où le gouvernement arracha des enfants aux populations autochtones. 

Transmettre, c’est aussi rappeler les combats passés. À une époque où les droits pour l’avortement reculent dans le monde, DÉSOBÉIR : LE CHOIX DE CHANTALE DAIGLE évoque le combat d’une femme à qui une décision judiciaire interdit d’avorter. 

 

UNE SÉLECTION SOUCIEUSE

La programmation a donc fait écho à quelques inquiétudes dans un ensemble où l’on n’a pas beaucoup ri. Meurtres ou disparitions (les scandinaves NORDLAND ’99, BLACKWATER, meilleure série dans le Panorama International ; la stylisée française POLAR PARK), angoisses (la jeunesse de l’espagnole LA RUTA ; les personnages de TENGO QUE MORIR LAS NOCHES, meilleure réalisation dans le Panorama International, prochainement sur Paramount+) : les occasions de respirer furent davantage présentes dans les rencontres, animées par des collaborateurs de Cinemateaser : le généreux Brian Cox n’a pas mâché ses mots et délivré à Charlotte Blum, avec une vraie sagesse, quelques vérités bien placées ; Renan Cros a réussi à installer un vrai sentiment d’intimité dans une salle de 1500 places et amener Marcia Cross à se confier avec beaucoup d’émotion ou encore Perrine Quennesson vectrice d’humour et allégeant sa discussion avec Tomohisa Yamashita (LES GOUTTES DE DIEU).

Si le monde dans les salles et au dehors sonnent l’alerte, si les professionnels font grise mine, le festival aura su rassurer sur la vitalité artistique des séries. La programmation s’est ainsi montrée aventureuse, percutante, brassant un large spectre de thèmes, de styles, de propositions. Tout ne va pas bien mais les séries sont bien vivantes. 

 

 

 

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