AIR : chronique

09-05-2023 - 11:30 - Par

AIR : chronique

Malin et exaltant, AIR comprend à la perfection la fascination qu’exerce Michael Jordan, tout en regardant, méfiant, les rouages du libéralisme actionnarial. Parfait pour un double programme avec HIGH FLYING BIRD de Steven Soderbergh.

 

Les premières notes de « Money For Nothing » retentissent et des reliques 80’s s’invitent à l’écran : films (LE FLIC DE BEVERLY HILLS, SOS FANTÔMES…), personnalités (Lady Di, Ronald Reagan), tendances (hip-hop, catch) ou pubs célèbres (« 1984 », par Ridley Scott pour Apple). Dans le générique de AIR, Ben Affleck convoque ainsi toute une culture, une époque associée au boom du néolibéralisme, au fric roi, à « l’argent pour rien ». Pendant près de deux heures, Affleck, son scénariste Alex Convery, ses acteurs vont tous danser sur une ligne ténue : célébrer un monument de la culture mercantile – la Air Jordan 1 de Nike – et livrer, dans le même mouvement, jamais contradictoire, la critique d’un système économique.

1984. Nike est la marque reine du running. Depuis qu’elle est cotée en bourse, son créateur Phil Knight (Ben Affleck) doit répondre de ses actes. La firme cherche à signer des athlètes connus. Sonny Vaccaro (Matt Damon), chef de la ligne basket, a un budget limité pour appâter de futures stars de la NBA alors que celles-ci n’ont qu’une marque en tête, Adidas. Sonny a une idée fixe : signer un universitaire qui, selon certains, n’aurait pas les attributs d’une vedette (« C’est un arrière, trop petit, qui marque 17 points par match ! »). Michael Jordan. Tout le monde connaît l’histoire. Et pourtant, comme un TITANIC du branding, AIR fonctionne à plein. Matt Damon en est le premier responsable : caméléon qui n’a besoin d’aucun déguisement pour disparaître derrière des personnages ordinaires, livre une de ses prestations évidentes, attachantes, pourtant jamais dénuées d’aspérités – joueur invétéré, Sonny se brûle au travail, conscient pourtant qu’il sera de ces milliards que l’Histoire oubliera. La caméra de Robert Richardson, en perpétuel mouvement, lui colle aux basques dans un open space terne ou sur les fantasmatiques routes américaines, et Damon de remuer ciel et terre. Il incarne la fascination que suscite Jordan – qui, lui, apparaît toujours de dos, silencieux, légende qu’aucun acteur ne pourrait interpréter. Peu à peu, AIR parvient à bousculer le récit typique du rêve américain, jusqu’à son fait d’arme, splendide scène où Vaccaro raconte à Michael Jordan son futur, images « d’archives » à l’écran. AIR capte là l’indicible de notre rapport aux idoles. Jordan prend le pas sur la marque, le système, sa chaussure. La grandeur de l’athlète l’emporte sur le marketing.

Une vérité éclate aussi, peut-être à l’insu du film : le rêve américain n’a rien d’une égalité des chances ou d’un long fleuve tranquille pour celui qui l’emprunte. Car les légendes naissent d’un talent, forcément aristocratique, elles prospèrent d’être protégées – principe convoqué par la prestation inflexible de Viola Davis en mère de Jordan. Cette écriture, dont la finesse triomphe des schémas programmatiques, cette malice et cette vivacité – le film est TRÈS drôle – offrent alors l’opportunité à Ben Affleck de livrer un propos très personnel. Comme dans LE DERNIER DUEL il se confie un rôle (celui de Phil Knight, patron de Nike) qui lorgne vers l’auto parodie, le ridicule voire le camp. En émergent très clairement ses blessures récentes d’artiste. Dans les idées du risque comme seule voie possible à l’accomplissement et de la nécessité d’imposer au système sa valeur, mais surtout dans ce PDG embourgeoisé, un peu fat, soumis à un conseil d’administration qui ligote ses décisions et étouffe sa créativité, comment ne pas voir les stigmates de son expérience au sein du DC-verse ? Que Ben Affleck, pour se raconter, se serve de Michael Jordan, dont l’illustre vidéo « Playground » fut en 1990 la première réalisation de Zack Snyder, ajoute une ironique note de bas de page à la légende.

De Ben Affleck. Avec Matt Damon, Viola Davis, Jason Bateman, Chris Messina, Ben Affleck, Chris Tucker… États-Unis. 1h51. Sur Amazon Prime Vidéo le 12 mai

Note : 4/5

 

 

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