Cannes 2023 : SLEEP / Critique

21-05-2023 - 13:04 - Par

Cannes 2023 : SLEEP / Critique

De Jason Yu. Semaine de la Critique.

 

Ancien assistant de Bong Joon Ho, Jason Yu réalise son premier long-métrage sur les faiblesses et les forces du couple en tant de crise.

Elle est enceinte, lui, soudainement sujet au somnambulisme. Attendre un enfant bouleverse le bien-être du couple. Surtout celui-là, duo charmant et rigolo formé par une employée de bureau et d’un acteur qui galère – drôle, vu que Lee Sun-kyun, l’interprète en question, est la star de PARASITE. Ils s’aiment et c’est pour la vie, c’est même gravé sur un panneau en bois à côté de la télé, comme un mantra qu’ils ne peuvent pas louper. Elle prend soin de lui, consulte le médecin à ses côtés. Le traitement peine à marcher… Et le jour où elle retrouve le chien dans le congélo, elle se persuade que ce n’est pas seulement une maladie du sommeil qui s’est emparée de son mari : c’est bien pire. Et si l’époux s’en prenait au bébé ? Après une mise en place sobre, sous des airs de comédie domestique, fonctionnelle mais efficace, où l’appartement est bien rangé, les relations sont polies, le loulou de Poméranie bien brossé, la mise en scène et le chaos prennent radicalement l’ascendant sur le film et le bizarre envahit l’écran. La parano, même, puisque SLEEP est en partie raconté avec le regard terrifié de madame – le regard du mari est plus pragmatique, objectif. Croyant mordicus à la solidité de son mariage, préférant souffrir à deux qu’aller mieux seule, elle s’inflige l’étrangeté de sa moitié, plutôt que d’abdiquer devant le danger. Là réside la force du film : interroger si et quand le pacte du couple doit se briser, surtout lorsque débarque au milieu l’enfant et les nuits sans sommeil – même si, ici, le bébé est celui qui dort comme une souche. Transformer le joyeux événement de la naissance en un ROSEMARY’S BABY séoulite : l’idée fonctionne, en tant que concept, mais aussi à l’écran, surtout que Jason Yu fait montre d’un sens du cadre éclairé, plongeant le couple dans des situations un brin malaisantes ou complètement terrifiantes. Il y a bien une ellipse maladroite, entre les deux derniers actes, mais cette accélération, factice car sur-écrite, vers l’enfer dans lequel l’épouse plonge permet aussi un dernier quart d’heure de film prodigieux entre powerpoint machiavélique – auquel on ne peut qu’adhérer –, performance habitée comme une déclaration d’amour à mort – à laquelle on ne peut que succomber –, et derrière la caméra, un exercice de point de vue qui laisse le spectateur drôlement circonspect et donc parfaitement comblé. Film-métaphore, SLEEP combine à merveille la peur théorique et l’effroi concret, ce que l’on croit et ce qui est sous nos yeux, sans jamais vouloir – et c’est tant mieux – prendre parti. Brillant premier long-métrage.

De Jason Yu. Avec Jeong Yu-mi, Lee Sun-kyun. Corée du sud, 2h. Prochainement

 

 

 

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