Cannes 2023 : BLACK FLIES / Critique
19-05-2023 - 08:25 -
De Jean-Stéphane Sauvaire. Sélection officielle, Compétition.
BLACK FLIES, ou le quotidien d’ambulanciers urgentistes à New York, est à l’image des deux précédents films de Jean-Stéphane Sauvaire : derrière le coup de poing de cinéma, une grande humanité. Lorsqu’il est en civil, Ollie Cross (Tye Sheridan), ambulancier urgentiste débutant, arpente les rues de New York vêtu d’un blouson orné d’ailes d’ange. Son partenaire, le très expérimenté Rutkovsky (Sean Penn), qui a vécu le 11-Septembre de l’intérieur, lui apprend que « parfois les gens s’en vont, quoi qu’on fasse ». La trajectoire d’Ollie durant les très intenses deux heures de BLACK FLIES est comprise dans cet entre-deux, entre l’ange salvateur et l’homme résigné, et son infinité de nuances de gris – y compris les plus percutantes et voyantes. Tout comme il l’avait fait dans ses deux précédents longs JOHNNY MAD DOG et UNE PRIÈRE AVANT L’AUBE, Jean-Stéphane Sauvaire opère une très délicate hybridation entre fiction et documentaire (les acteurs professionnels côtoient des interprètes amateurs), entre mise en image brute et stylisée. Le cinéaste n’a qu’un seul but affiché : prendre le spectateur au col, lui écarter grand les paupières, le forcer à les garder ouvertes, et l’assaillir de stimuli visuels et sonores constants. Le tout pour générer un puissant sentiment d’immersion et d’empathie. Ce travail, remarquablement exécuté, débute dès le générique où rémanences de gyrophares, gros plans sur le visage de Tye Sheridan, sirènes et respirations lourdes se superposent en un geste très « tony-scottien ». Puis l’explosion : Ollie sort de son ambulance comme une trombe ; débute alors la première intervention du film. Sons agressifs, images agressives : BLACK FLIES naît dans le chaos qui, à l’image, caractérise autant la jeunesse d’Ollie, par sa panique, que l’expérience de Rutkowksi, par son calme. Happé par ce tourbillon, agressé par le bruit constant qui couvre New York, le spectateur se retrouve brinquebalé de scène en scène, d’intervention en intervention, dans une sorte de flot continu – comme l’était d’ailleurs le roman semi-autobiographique de Shannon Burke qu’il adapte, constitué, après un prologue, d’un seul et même long chapitre de 200 pages. Sauvaire s’intéresse autant aux sauveteurs bienveillants qu’aux ambulanciers usés mais aussi, plus risqué, à ceux qui n’ont vraiment rien de chevaleresque – comme LaFontaine (Michael Pitt), figure malaisante, presque irréelle, qui régurgite sur les autres la violence reçue sur le bitume et dont il semble se repaître. Rares sont les cinéastes capables de tenir un tel dispositif, écrasant, étouffant, dont les quelques moments de calme ont ce goût amer d’inéluctable tragédie, sans qu’il n’en devienne insupportable ou putassier. Jean-Stéphane Sauvaire, lui, en tire un remarquable portrait d’un sacerdoce, de ses limites, de ses névroses, de ses conséquences et, plus largement, de la manière dont nous gérons les questions de santé, de mort et, par ricochet, de déterminisme. BLACK FLIES épuise, rebute, bouleverse, perturbe. Car en filmant avec une grande humanité des êtres comme isolés dans un grand tout qui, face à la misère et à la mort, ruminent en silence leurs peines, le hurlement en guise de toute communication, le cinéaste aboutit, aussi, à une peinture très ressemblante de notre époque. De Jean-Stéphane Sauvaire. Avec Tye Sheridan, Sean Penn, Michael Pitt. États-Unis. 2h04. Prochainement
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