Cannes 2023 : L’AMOUR ET LES FORÊTS / Critique

24-05-2023 - 10:00 - Par

Cannes 2023 : L’AMOUR ET LES FORÊTS / Critique

De Valérie Donzelli. Sélection officielle, Cannes Première.

 

Adaptation personnelle du puissant roman d’Eric Reinhardt, L’AMOUR ET LES FORÊTS intrigue, sidère, bouleverse et procure constamment de grandes émotions de cinéma. Un très grand film.

C’est l’histoire d’une femme qui tombe amoureuse d’un homme qui ne sait pas aimer. C’est l’histoire d’une femme qui veut se convaincre que cet homme est comme les autres, que cette violence, elle l’a peut-être méritée, qu’elle l’aime après tout, malgré tout. C’est l’histoire d’une victime comme il y en a beaucoup trop. Le sujet de L’AMOUR ET LES FORÊTS est douloureux et déjà, le roman inoubliable d’Eric Reinhardt, le traitait par le vertige de l’identification, le romanesque qui s’engouffre dans une vie comme une autre, le sentiment d’une héroïne ordinaire. Sa Bénédicte Ombredanne, héroïne bovaryesque bouleversante, devient chez Valérie Donzelli, Blanche, jeune professeure de Français qui va tomber, elle aussi, sous le joug de celui qui se présentait comme un prince charmant, Greg. Un changement de prénom comme une manière de s’approprier cette histoire, de la raconter autrement, de faire œuvre à soi. Ce que Reinhardt travaillait et proposait par l’écriture et la forme du roman, Donzelli va le travailler par le cinéma.

Écrit en duo avec Audrey Diwan – dont on perçoit ici la force d’écriture – L’AMOUR ET LES FORÊTS est une œuvre de cinéma qui sans cesse, par l’intelligence, la maîtrise et l’invention de Valérie Donzelli, interroge le regard du spectateur. On sait la réalisatrice à l’aise dans la fantaisie, le virevoltant, le délicat. Son cinéma a toujours fourmillé de trouvailles. Mais, après une incartade série bouleversante en duo avec Clémence Madeleine-Perdrillat (NONA ET SES FILLES), la réalisatrice porte ici la beauté et l’invention formelles constante de son cinéma à un point très haut. Parce que soudain ses images deviennent politiques. En filmant cette histoire, hélas tristement quotidienne, d’emprise et de violence conjugale comme une grande œuvre de cinéma, en refusant le naturalisme fait-divers et en poussant les curseurs esthétiques, Donzelli fabrique des images troublantes, à la fois belles et terrifiantes, constamment traversées de références.

Par sa mise en scène, L’AMOUR ET LES FORÊTS est donc tout à la fois un conte, une tragédie, une comédie romantique, un film hitchcockien, un thriller, un film d’horreur et les images qui nous traversent, questionnent la permanence dans la fiction de ces femmes victimes, sacrifiées. Virginie Efira, tour à tour jumelles à la Demy, héroïne de Barbe Bleu, Kim Novak en pleine SUEURS FROIDES, FEMME SOUS INFLUENCE à la Cassavetes, traverse toutes ces incarnations avec une justesse impressionnante. Elle imprime l’image de Donzelli, s’abandonne à une caméra qui sublime et bouscule. Face à elle, Melvil Poupaud est un monstre. Pur. À la fois séduisant et terrifiant. Constamment, à partir de ces deux-là, le film invente une façon de capter ces scènes vues et revues pour les rendre sensorielles, étonnantes, désagréables. Parce que Donzelli refuse la passivité du spectateur, lui ordonne constamment d’être en alerte – non pas par le choc, le frontal qui serait une forme d’obscénité – mais par la fiction et le cinéma.

Ainsi, L’AMOUR ET LES FORÊTS est profondément et heureusement une œuvre féministe. C’est-à-dire un film qui interroge un ordre établi (ici esthétique) et cherche à nous interpeller. La traversée de cette héroïne est parsemée de visages connus d’actrices comme des phares (Laurence Côte, Marie Rivière, Romane Bohringer, Virginie Ledoyen, Dominique Reymond…) qui incarnent une forme de sororité nécessaire à la possibilité d’une échappée. Reprendre sa vie, reprendre son corps, partir. « C’est une guerre » dit un personnage. Une formule puissante dont les mots résonnent longtemps.

De Valérie Donzelli. Avec Virginie Efira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond. France. 1h45. En salles le 24 mai

 

 

 

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