Cannes 2023 : MONSTER / Critique

17-05-2023 - 20:00 - Par

Cannes 2023 : MONSTER / Critique

De Hirokazu Kore-eda. Sélection officielle, Compétition.

 

Structure trompeuse et finesse d’écriture : Kore-eda détricote les mécaniques du mensonge et du cinéma pour révéler l’essentiel.

Le cinéma de Hirokazu Kore-eda a cela de fascinant qu’il apparaît à la fois immuable et en permanence sujet à de très subtiles mutations. Deuxième film de sa carrière seulement à utiliser un ratio 2.35 avec THE THIRD MURDER, MONSTER partage avec ce dernier d’être construit comme un thriller, un récit-enquête où la vérité vient peu à peu balayer les mystères et les mensonges. Minato, 10 ans, agit étrangement, ces derniers temps. Saori, sa mère, veuve, s’inquiète car certains signes lui laissent penser qu’il subit un harcèlement scolaire. Lorsque son fils lui confie la violence de son professeur, elle alerte l’équipe pédagogique. Là, on retrouve le Kore-eda observateur de la société japonaise qui, sans porter de jugement sur ses protagonistes, documente les normes sociales, les déconstruit, les interroge, pour un portrait toujours plus inquiet et incisif d’un patriarcat et d’une cellule familiale traditionnelle obsolètes. Saori subit un ostracisme parce que mère célibataire, elle confronte la méfiance que l’on oppose trop souvent aux victimes. Cette première partie surprend car Kore-eda y injecte un humour qui ne lui a certes jamais fait défaut, mais il lui adjoint une touche d’absurde qui rend la légèreté plus amère, presque kafkaïenne. Une apathie semble ronger les professeurs, une lâcheté même ; leurs excuses apparaissent dévitalisées ; tout n’est que tractations politiques et absence de communication, comme si les valeurs nippones arrivaient en bout de course. Puis Kore-eda et son scénariste Yoji Sakamoto bouleversent tout à coup la donne en invoquant le Rashomon Effect inventé par Akira Kurosawa. Si, a priori, MONSTER se présentait comme un (excellent) Kore-eda presqu’attendu – dans ses thématiques et sa mécanique –, le film détricote soudainement tout ce que l’on imaginait et propose une étude toujours plus dense et plus fine des mécaniques du mensonge. Si bien que, chose nouvelle chez le cinéaste, MONSTER revêt de puissants atours méta. La vérité, finalement, se révèle toute simple, anodine, bien loin des schémas alambiqués et des révélations tonitruantes du thriller. Tout ce qui a précédé revêt de nouvelles significations, révélant un tout nouveau poids sur la psyché et les sentiments de Minato. Là, MONSTER assume sa nature manipulatrice, qui n’est autre que celle du cinéma. Aveuglés par des écrans de fumée dont la norme sociale est sans doute le plus épais et inextricable, par diverses rumeurs, par une prétendue quête de vérité et le suspense qui en découle, les personnages et le spectateur en avaient oublié l’essentiel – regarder et ressentir l’autre et ses sentiments. Kore-eda recadre ainsi brutalement sur le plus important. Cette prise de pouvoir de l’humain sur l’intrigue est l’étincelle d’un choc empathique et, accompagné des sublimes notes en suspens du piano de Ryuichi Sakamoto, d’une puissante décharge émotionnelle finale.

De Hirokazu Kore-eda. Avec Soya Kurokawa, Hinata Hiiragi, Sakura Ando, Eita Nagayama. Japon. 2h04. Prochainement

 

 

 

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