CANNES 2023 : OCCUPIED CITY / Critique

17-05-2023 - 16:51 - Par

CANNES 2023 : OCCUPIED CITY / Critique

De Steve McQueen. Séances Spéciales.

 

Il a grandi à Londres, ville jadis bombardée, mais vit aujourd’hui à Amsterdam, ville anciennement occupée. Steve McQueen porte un regard apeuré sur l’Histoire et bienveillant sur ses concitoyens. 

Il n’y a qu’à voir la mise en scène de Chicago dans LES VEUVES ou la photographie de Londres dans SMALL AXE pour comprendre que Steve McQueen aborde la cité d’un point de vue politique. Avec OCCUPIED CITY, il revient sur l’occupation d’Amsterdam par ses points stratégiques. Un appartement en rez-de-chaussée, un parc, une rue, une école. Là où des Amstellodamois ont caché des Juifs, là où un médecin et son épouse ont décidé d’en finir, là où une jeune fille a insulté des nazis, là où on a fusillé des résistants. La voix factuelle mais non dénuée d’émotion de Melanie Hyams (sur textes de Bianca Stigter, auteure hollandaise et épouse de Steve McQueen) nous guide pendant 4h20 à travers la ville et nous raconte, grâce à quelques phrases laconiques pourtant chargées de la présence des morts, Amsterdam au début des années 40 quand Hitler, fasciné par la nature aryenne des Hollandais, avait décidé d’annexer le pays au Reich. C’est une série d’histoires d’un homme ou d’une femme et de ce qu’ils ont fait pour vivre dans une ville où l’on pouvait être emprisonné ou déporté à tout moment. Ce sont des bouts de vie, occultés par les grandes lignes que l’Histoire retient, qui sont relatés ici. De l’héroïsme, dans sa plus grande trivialité. Ce n’est pas l’ordre chronologique qui intéresse Steve McQueen, ce n’est pas l’Histoire telle qu’on l’apprend à l’école : c’est l’humain et sa transcendance face à l’adversité.

Ainsi, il n’y a aucune image d’archive. Il évoque les photos que prenaient les familles, capturant leur amour pour la postérité avant d’être séparés, mais jamais il ne les montre. C’est Amsterdam aujourd’hui que filme Steve McQueen, dans un pèlerinage d’adresse en adresse. Alors que Melanie Hyams décrit le QG des SS où d’infernaux interrogatoires avaient lieu, à l’image, la même adresse accueille aujourd’hui un lycée et des gamins qui rient. L’effet de contraste est saisissant. Ces Amstellodamois, à l’écran, qui font du vélo sur les bords du canal, ne pensent pas à leurs aïeuls qui y ont perdu la vie. Ces jeunes qui zonent en plein Covid n’ont cure des exactions nazies qui ont eu lieu il y a 80 ans exactement où ils sont assis. Tant mieux : c’est l’aboutissement d’une résilience. Tant pis : le peuple a toujours un peu la mémoire courte. Quoi que. Steve McQueen ose mettre en parallèle le couvre-feu de l’occupation et le couvre-feu de la pandémie, la chute par l’occupation et la mise en danger des libertés en temps de Covid. Non pas en tant que déclaration d’intention visant à déclarer la gestion de la pandémie comme un néo-fascisme, mais plutôt pour mettre en valeur l’esprit résistant de sa ville, l’atavisme face à un soudain changement de paradigme démocratique. Il ne confronte pas les régimes, il explique la peur, peut-être inconsciente, de voir chez un peuple sa société soudain changer. C’est l’un des points les plus délicats du film qui, par ailleurs, monte les récits de l’héroïsme ou des tragédies ordinaires sur des images de manifestations anti-racistes, contre le réchauffement climatique, en faveur de la liberté de la presse… Steve McQueen, souvent décrit comme peu jovial et un poil manipulateur (ce qui n’est pas le cas), se laisse ici totalement aller à célébrer la capacité humaine à tourner la page tout en ne lâchant jamais le morceau. Parce que chaque individu possède une force qu’il ne soupçonne qu’en temps de crise, le groupe conteste, exige des comptes et survit. Un époustouflant manifeste humaniste.

De Steve McQueen. Documentaire. Grande-Bretagne / Pays-Bas. 4h20. Prochainement

 

 

 

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