Cannes 2023 : INDIANA JONES ET LE CADRAN DE LA DESTINÉE / Critique

19-05-2023 - 07:10 - Par

Cannes 2023 : INDIANA JONES ET LE CADRAN DE LA DESTINÉE / Critique

De James Mangold. Sélection officielle, Hors compétition.

 

James Mangold esquisse un beau film hanté par le vieillissement et la marche de l’Histoire, malheureusement écrasé par un spectacle lambda.

En tirant le portrait de doux rêveurs iconoclastes dans LE MANS 66, James Mangold avait par ricochet parlé de lui-même, de son statut d’artiste féru de classicisme, presque hors du temps, voire anachronique dans l’état actuel de l’industrie. Qui de mieux que lui, alors, pour reprendre le flambeau Indiana Jones des mains de Steven Spielberg ? Qui plus est pour raconter un aventurier âgé, usé par les années, par les aventures passées, désormais écrasé par la routine d’une morne vie de professeur qui ne suscite plus l’admiration de ses étudiants ? Autour de cette thématique qu’il démontre vouloir embrasser, LE CADRAN DE LA DESTINÉE contient un grand film, beau et hanté, à contre-courant de bien des spectacles hollywoodiens modernes, dépourvus d’âme et d’aspérités. Mais ce film-là n’apparaît que trop fugacement, dans quelques instants de pure comédie digne du muet – Indy à moitié nu, son corps encore sculpté mais rouillé, qui s’extirpe de son lit, réveillé par un tube des Beatles. Il apparaît dans quelques dialogues bouleversants, aussi – une courte scène avec Sallah, qui se languit du désert et de l’aventure, preuve qu’un champ contrechamp peut receler des trésors d’émotion. Il apparaît enfin dans le regard que pose Mangold sur Indy, dans cette manière de le peindre perdu dans une ère qui n’est plus la sienne, jamais vraiment à sa place dans ce futur qui s’écrit chaque jour. Ses oripeaux de héros mythologique s’en retrouvent comme déchirés par le contraste entre sa silhouette en cuir et fedora et l’environnement dans lequel il évolue désormais. Dans ces contrastes marquants – Indy monte à cheval quand son ennemi chevauche une moto – Mangold raconte beaucoup d’Indiana Jones mais aussi de la saga elle-même, héritière d’un cinéma des années 30 et 40 bien trop élégant pour les standards du XXIe siècle. Malheureusement, ce film que le cinéaste semble vouloir faire croule sous des effets contradictoires. Spectacle pyrotechnique incessant, litanie de poursuites pour certaines interminables, pour d’autres génériques ou bruyantes, parfois ratées techniquement, LE CADRAN DE LA DESTINÉE ne met jamais en scène son cœur thématique et dramaturgique dans l’action. Alors qu’il assure à Sallah que leurs jours d’aventure sont derrière eux, Indy apparaît, dans les moments de bravoure, toujours aussi fringant, bien loin de l’icône fatiguée et anachronique que Mangold s’ingénie à dépeindre par ailleurs et encore plus loin du propos qu’il esquisse sur la marche de l’Histoire et du temps. Phoebe Waller-Bridge, étincelante, incarne, elle une héroïne très moderne, ambiguë, et forme avec Harrison Ford un splendide duo de screwball platonique. Mais LE CADRAN DE LA DESTINÉE patine parce qu’il ne parvient jamais à contester les règles du cinéma contemporain comme les héros du MANS 66 se jouaient des codes de la course automobile. Il parvient tout de même à quai avec classe : les vingt dernières minutes, qui se confrontent enfin pleinement à ce que Mangold a cherché à raconter par touches impressionnistes, se révèlent à la fois exaltantes, inédites et pourtant familières. Dans les regards perdus de Harrison Ford émergent alors des torrents d’émotion, à la fois directe et plus méta. Enfin, LE CADRAN DE LA DESTINÉE devient le film qu’il semblait vouloir être depuis le début. « L’important n’est pas ce à quoi on croit, dit Indy, mais la force avec laquelle on y croit ». Peut-être que James Mangold n’a pas pu y croire aussi fort qu’il l’espérait, ou du moins, n’a-t-il pu ou su le faire que trop tard.

De James Mangold. Avec Harrison Ford, Phoebe Waller-Bridge, Mads Mikkelsen. États-Unis. 2h34. En salles le 28 juin

 

 

 

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