Cannes 2023 : LE RÈGNE ANIMAL / Critique

18-05-2023 - 16:04 - Par

Cannes 2023 : LE RÈGNE ANIMAL / Critique

De Thomas Cailley. Sélection officielle, Un Certain Regard.

 

Énorme ambition, énorme résultat, LE RÈGNE ANIMAL impressionne le cœur et la rétine. Du cinéma qui n’a peur de rien.

Depuis son premier long LES COMBATTANTS en 2014, on l’attendait au tournant. Thomas Cailley a pris le temps (d’une série, AD VITAM, en 2018) et négocie le virage du second film avec une audace et un brio assez déconcertants. Justement, déconcerter, aller là où on ne savait pas qu’on allait, c’est tout le chemin emprunté par les personnages mais aussi le spectateur dans cette fable fantastique qui navigue entre les genres. Et ce dès l’ouverture, où une engueulade père fils, drôle et bien écrite, dérape soudain en sidération fantastique. Film mutant, LE RÈGNE ANIMAL nous plonge dans une époque en proie à une étrange épidémie : des hommes, des femmes, des enfants soudain mutent lentement vers une forme animale. Romain Duris (François) veille sur son fils Emile (Paul Kircher), ado taiseux, tandis que sa femme Lana, devenue « bestiole », est enfermée dans un centre de rétention. Quand un accident survient, elle s’échappe et c’est le début pour le père et le fils d’une épopée familiale et intime qui va questionner aussi bien l’humain que l’animal en nous. Entre des mains frileuses, le projet aurait pu être théorique, cérébral, mais Thomas Cailley fonce, filme, montre et ose le merveilleux et le bizarre, le comique et le tragique, le grotesque et le sentimental avec une croyance contagieuse. Constamment, le film mute devant nous, apprend à agréger son humour désinvolte (déjà dans LES COMBATTANTS, Cailley avait l’art de la punchline), son merveilleux grandiose et bizarre (les créatures provoquent à chaque fois des moments de sidération), ses zones d’ombre aussi, ses larmes, sa violence et ses multiples résonances politiques contemporaines. Plaidoyer antispéciste, métaphore sociale, interrogation philosophique, tout ça est englobé, digéré par un grand mouvement de cinéma, une façon d’être constamment au premier degré dans la chair et le cœur des personnages – laissant le spectateur libre, lui, d’y voir tous les sous-textes. Il y a du génie de Pixar dans cette façon de nous emporter aussi loin, d’oser mêler le sentimental à l’abstrait en croyant fermement au pouvoir de la fiction. Un Pixar en chair, un Cronenberg « pour toute la famille » qui tient aussi par l’incroyable performance des comédiens. Duris, drôle et touchant en père largué mais surtout Paul Kircher, déjà génial dans LE LYCÉEN d’Honoré, qui ici, phénoménal, porte le film sur son corps avec une humanité folle. Si le film est peut-être encore un peu trop long (on l’imagine tout juste fini), son ambition, sa profondeur et les émotions de cinéma qu’il procure sont rares et inoubliables.

De Thomas Cailley. Avec Paul Kircher, Romain Duris, Adèle Exarchopoulos. France. 2h10. Prochainement

 

 

 

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