Cannes 2023 : MAY DECEMBER / Critique

21-05-2023 - 14:28 - Par

Cannes 2023 : MAY DECEMBER / Critique

De Todd Haynes. Sélection officielle, compétition

 

Délicieusement camp, vachard, drôle et tragique : MAY DECEMBER mixe les intentions pour un très grand plaisir de cinéma.

Julianne Moore ouvre son frigo. La caméra zoome subitement. Les notes sentencieuses de la partition du MESSAGER signée Michel Legrand, réorchestrées par Marcelo Zavros, déjà entendues sur le générique d’introduction, annoncent un drame. « On n’a pas assez de hot-dogs », lance la comédienne, suscitant une hilarité franche et inattendue. Rien ne saurait mieux résumer MAY DECEMBER, les multiples surprenants détours qu’il emprunte, l’intense plaisir de cinéma qu’il engendre, que ce court moment. Situé dans la quasi mythologique Savannah, plus vieille ville des États-Unis, MAY DECEMBER organise la collision entre une actrice trentenaire, Elizabeth (Natalie Portman), et une femme au bord de la soixantaine, Gracie (Julianne Moore) qui, voilà 25 ans, a été emprisonnée pour avoir entretenu une relation avec un adolescent de 13 ans, Joe, désormais son mari (Charles Melton). Pour se préparer à l’incarner à l’écran, Elizabeth suit Gracie dans son quotidien et, dans le processus, interroge tout son entourage – faisant d’elle un personnage d’enquêtrice en quête d’une vérité, comme en a déjà filmé le cinéaste dans VELVET GOLDMINE et DARK WATERS.

Une véritable jouissance de cinéma émerge de ce pitch, la jouissance d’un cinéma de personnages et d’interprètes qui ne s’embarrasse d’aucune bienséance, d’aucune règle, mais embrasse le spectacle total pour raconter les émotions complexes de ses protagonistes – des plus drôles aux plus tragiques, des plus universelles aux plus tordues. Puisque l’histoire de Gracie rappelle d’autres affaires, réelles, comme celle de Mary Kay Letourneau, qui suscitent autant l’intérêt charognard des tabloïds que des téléfilms de l’après-midi, Todd Haynes embrasse avec mimétisme et malice ce formalisme-là, jusque dans un léger halo hamiltonien. Un pas de côté nourrit par le choix de Savannah, étrange cité moite, à mi-chemin entre le musée à ciel ouvert et le parc d’attraction irréel. Armé de sa maîtrise du post-modernisme, Todd Haynes établit une connivence immédiate avec son spectateur, indéboulonnable car assumée, non pas pour se moquer de ses personnages, mais bien pour les affranchir de toutes les conventions, sociales ou cinématographiques, leur laisser la liberté d’affirmer leur identité profonde, d’être tout ce qu’ils veulent être, veules ou tristes, manipulateurs ou bitchy. Dialogues vachards mémorables (l’obsession de Gracie pour le poids de ses filles), tension sexuelle constante au point qu’il est impossible de ne pas en rire : Haynes n’est jamais allé aussi loin dans la comédie, comme un cousin, parfois, du mordant de John Waters dans la peinture de la communauté qu’il filme. Il commente autant les normes sociales (son grand sujet de prédilection), que son propre cinéma – en une sorte de précipité outrancier et grotesque de SAFE, LOIN DU PARADIS ou CAROL –, son amour des anticonformistes que des actrices.

Absolument prêtes à tout pour le suivre dans l’entreprise, Natalie Portman et Julianne Moore livrent des prestations-monstres se repaissant de leur propre excès – les regards exagérément pensifs ou séducteurs de l’une, les larmes gueulardes de l’autre –, sommet de soap opera camp dans lequel se débat Joe, mari aimant mais perdu, superbement incarné par Charles Melton (RIVERDALE), touchant îlot de tendresse qui interroge avec grâce les questions de consentement. MAY DECEMBER a la grande élégance d’inviter le spectateur à naviguer à sa guise dans cet océan d’intentions, de tonalités et de thématiques, ne lui impose jamais rien de définitif, le laisse chercher et trouver son propre rapport au sujet et aux personnages. Ce qui pourrait tourner à la farce un peu vaine, aboutit au contraire à une grande expérience de Todd Haynes sur la forme – de la comédie, du mélodrame et de son propre cinéma.

De Todd Haynes. Avec Natalie Portman, Julianne Moore, Charles Melton. États-Unis. 1h50. Prochainement

 

 

 

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