Cannes 2023 : LE LIVRE DES SOLUTIONS / Critique

21-05-2023 - 23:40 - Par

Cannes 2023 : LE LIVRE DES SOLUTIONS / Critique

De Michel Gondry. Quinzaine des cinéastes

 

Pour son retour, Michel Gondry se raconte dans une comédie en forme de dérapage incontrôlable. Inventif, généreux, sincère mais surtout hilarant. Sous ses airs modestes, déjà l’un des grands films de l’année.

C’est l’une des questions du moment : faut-il séparer l’homme de l’artiste ? Avec LE LIVRE DES SOLUTIONS, Michel Gondry est clair : non. Créateur génial, adulé pour sa créativité et son univers poético-foutraque, le réalisateur d’ETERNAL SUNSHINE et de LA SCIENCE DES RÊVES décide avec son nouveau film de se raconter. D’exposer l’envers de ce fameux génie, de montrer comment l’homme et l’artiste se confondent, souvent pour le pire, avec une sincérité aussi désarmante qu’hilarante.

Marc, réalisateur à succès loué pour son inventivité poétique, est dans une impasse. Tandis qu’il affronte des financiers sur le montage de son prochain film, le voici qui embarque sa monteuse et son assistante chez sa tante dans les Cévennes pour finir ce fameux film. Mais Marc n’a pas envie, n’y arrive pas et le voici qui vrille. Autoportrait centrifuge, LE LIVRE DES SOLUTIONS nous fait vivre une vie avec Gondry, faite de crises d’ego, d’idées farfelues, de besoin d’attention, de sautes d’humeur, de rires, de larmes qui usent et épuisent son entourage. Une vie comme un capharnaüm où la moindre idée prend toute la place. Depuis HUMAN NATURE, le désordre a toujours été le grand sujet du cinéma de Gondry. LA SCIENCE DES RÊVES, BE KIND REWIND, L’ÉCUME DES JOURS, MICROBE ET GASOIL : des fausses comédies dont l’inventivité visuelle cachait des abîmes de mélancolie et d’angoisse. Comme ici, l’angoisse et l’incapacité d’exister de son héros sont directement le sujet du film, il fait du LIVRE DES SOLUTIONS une merveille de comédie. Le portrait que tire Gondry de lui-même est alors bourré de situations absurdes (notamment une scène d’enregistrement de musique où le héros s’improvise chef d’orchestre, inoubliable), de dialogues tordants, de multiples dérapages, tout ça mené comme toujours avec une virtuosité visuelle réjouissante. Là où d’ordinaire il cherchait à dompter le chaos de son cinéma, ici le film fait corps avec lui, alors les idées fusent, les scènes aussi, avec une liberté joyeuse.

Et pour ça, le réalisateur exploite tout le génie comique de Pierre Niney, son imparable sens du timing, du burlesque, avec ce petit supplément d’humanité qui rend la pire des vacheries, la plus grande des mauvaises fois irrésistiblement drôles. Ce qu’il réussit dans le film est assez prodigieux. Cauchemar sur patte, son personnage, dont l’esprit ne semble jamais s’arrêter, fait face à quatre femmes (Blanche Gardin sa monteuse pugnace, Frankie Wallach son assistante exaspérée, Françoise Lebrun, sa tante inquiète et Camille Rutherford, son crush, toutes les quatre formidables) qui, chacune à leur manière, tentent de l’aimer et de l’aider jusqu’à ce qu’elles n’en puissent plus. Un mélange d’inquiétude, d’agacement et de colère qui sont le contre-point nécessaire pour ne pas faire de ce tyran de cinéma un héros.

Ni doloriste pour se faire plaindre, ni angélique pour se faire aimer, cet exercice d’auto-analyse réussit par la comédie à faire tenir toutes les nuances de ce personnage, sans jamais l’excuser. C’est cette sincérité comme une forme de générosité, cette façon de montrer non pas tant les coulisses d’un film que les coulisses d’un Auteur, qui font du film une comédie rare. Gondry rit de lui avec nous et à travers lui, nous parle de nos échecs, nos bordels intérieurs, nos procrastinations, nos désirs foutraques. Dans une dernière image poétique, le film fait preuve d’un pessimisme sain assez bouleversant. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on est. Mais ça n’excuse rien. « À quoi ça sert d’être réalisateur si on n’est même pas le chef ? » bougonne Marc à un moment du film. À réussir ça. Pouvoir être totalement soi, grâce aux autres.

De Michel Gondry. Avec Pierre Niney, Blanche Gardin, Françoise Lebrun. France. 1h42. Prochainement

 

 

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