Cannes 2023 : UN HIVER À YANJI / Critique

23-05-2023 - 10:53 - Par

Cannes 2023 : THE BREAKING ICE / Critique

D’Anthony Chen. Sélection officielle, Un Certain Regard

 

Décidé, conçu et tourné rapidement, le nouveau long-métrage d’Anthony Chen séduit par sa liberté, qui est aussi son petit défaut.

Anthony Chen a mobilisé producteurs, cast et équipe technique de manière impulsive, sans avoir de scénario prêt – chose assez subversive dans l’industrie chinoise. Il désirait tourner, après des mois de sclérose artistique due à la pandémie, et sortir de sa zone de confort en filmant, lui le Singapourien, en région froide, à la frontière entre la Chine et la Corée du nord. Cette spontanéité infuse jusque dans le script, écrit dix jours avant le tournage : à Yanji, Haofeng (Liu Haoran), venu pour un mariage, déprime sec, fuit au sein d’un groupe de touristes et tombe sous le charme de la guide, Nana (Zhou Dongyu). Au lieu de rentrer à Shanghai où il travaille dans la finance, il décide de rester avec elle et Xiao (Chuxiao Qu), qu’il pense – comme nous d’ailleurs – être son petit ami. Mais dans ce triangle amoureux à la JULES ET JIM, on n’étiquette aucune relation, on touche et on embrasse qui on veut – dans la limite de la relation hétérosexuelle, s’entend. Les classes, les cultures, l’argent n’ont plus d’importance. Seuls comptent les affinités des corps et des sourires, les envies de danser et les regards qu’on jette ensemble au loin, avec mélancolie. S’il y a bien un phénomène que le Covid a mis en lumière, voire exacerbé, c’est le spleen des jeunes du monde entier, les Chinois n’y échappant pas. Ensemble, Haofeng, Nana et Xiao tentent de trouver leur place, sans se rendre de compte, sans faire porter aux autres le poids de leur passé. À les voir à la frontière de la Corée du nord scruter cet autre mystérieux pays, on imagine Anthony Chen regarder BURNING en boucle et vouloir en arracher l’engagement politique pour en extraire la substance sensuelle et sexuelle. THE BREAKING ICE n’a de politique que le regard bienveillant et curieux que pose son réalisateur sur une génération perdue, au profond désir d’être aimée, même à moitié.

Alors c’est vrai, il ne se passe pas grand-chose sous cette glace qui se fissure. Pas de crise, pas de dispute, toutes les révoltes sont intérieures, tous les chagrins sont rentrés. À trois, l’un retrouve le goût de la vie, l’autre peut faire le deuil de son rêve de gamine et le dernier soigne un instant sa peine de cœur. À trois, dans les forêts enneigées, ils exsudent une harmonie qui soumet même les ours les plus balaises. C’est la même sérénité qui nous envahit, sidérés par la poésie bouleversante qui se dégage de chaque image. Les grands lacs, les routes désertes… mais aussi les clubs sous les néons, les échoppes miteuses. À cette manière de filmer des visages comme s’ils contenaient le monde, des corps comme s’ils suaient la vie, le cinéma d’Anthony Chen rappelle autant la Nouvelle Vague que Hou Hsiao-hsien ou, par de brefs moments, Wong Kar-wai. Alors qu’il a tourné en Grèce avec la Britannique Cynthia Erivo et s’apprête à réaliser son premier long-métrage américain sur la communauté chinoise pendant les années Sida, Anthony Chen se montre inclassable et sa poésie, universelle. 

D’Anthony Chen. Avec Zhou Dongyu, Chuxiao Qu, Liu Haoran. Chine, 1h37. Prochainement

 

 

 

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