Cannes 2023 : LA PASSION DE DODIN BOUFFANT / Critique

25-05-2023 - 12:58 - Par

Cannes 2023 : LA PASSION DE DODIN BOUFFANT / Critique

De Tran Anh Hung. Sélection officielle, compétition

 

Le nouveau Tran Anh Hung fait de sa longueur sa force, imposant patiemment son propos, ses personnages et leurs sentiments.

« Le pire n’est pas d’avoir faim, mais de ne pas savoir quand on va manger », assure Dodin Bouffant. Un aphorisme en forme d’avertissement : ne pas oublier de dîner avant d’assister à une projection de LA PASSION DE DODIN BOUFFANT. Cliché, sans doute, mais nécessaire : le nouveau projet de Tran Anh Hung a pour but de sublimer l’acte de cuisiner et de déguster, en une sorte de super épisode de TOP CHEF remarquablement photographié. Cela ne surprendra pas ceux qui, à la fin des années 90, s’étaient émus des premiers films du cinéaste qui, dans L’ODEUR DE LA PAPAYE VERTE et À LA VERTICALE DE L’ÉTÉ, s’était déjà penché lors de scènes particulièrement charnelles sur la nourriture et sa place dans nos vies. Changement de décor puisqu’au Vietnam, Tran Anh Hung substitue la France de la fin du XIXe siècle et plante sa caméra dans le château de Dodin Bouffant (Benoît Magimel) dont on ne sait rien mis à part sa passion pour la bonne chère, le vin, les bons accords, les textures et les saveurs. Dans sa cuisine officie depuis vingt ans Eugénie (Juliette Binoche), avec qui il partage certaines nuits. L’ouverture de LA PASSION DE DODIN BOUFFANT, longue séquence où se cuisinent écrevisses, carré d’agneau, vol-au-vent et omelette norvégienne, laisse craindre le pire. Non pas qu’elle manque d’intérêt cinématographique : la caméra, ultra mobile, capte les gestes en une danse virtuose, dans une lumière chaude joliment artificielle. Reste que cette introduction manque d’enjeu et peine à incarner sa beauté plastique, comme encore à distance. L’ennui se fait sentir… Mais, alors que se succèdent les scènes de dîner, où l’on se raconte sur un ton exagérément professoral l’histoire de la gastronomie française, émergent des enjeux humains, des sentiments, des désirs aussi. Là, on retrouve le Tran Anh Hung des débuts, où chaque image regorge d’une sensualité sublimée. LA PASSION DE DODIN BOUFFANT n’entend pas réfléchir sur la politique des aliments, sur les disparités alimentaires – nous sommes ici chez des bourgeois gorgés de privilèges, contexte idoine pour présenter de beaux produits. Il n’en oublie pas pour autant la place sociale de la nourriture – « Le pot-au-feu a nourri bien des familles françaises », dit Dodin en défense de ce plat populaire. Reste que le cœur du projet réside dans les parallèles dressés entre cuisine et éveil des sentiments, jouissance du goût et sexuelle – au point de s’en amuser lors d’un match cut juxtaposant une poire luisante au corps nu de Binoche. Presque par surprise, LA PASSION DE DODIN BOUFFANT finit ainsi par émouvoir avec ses beaux personnages que le cinéaste filme avec amour, dans de longs plans laissant tout loisir à Magimel et Binoche, impériaux, de briller. Ou comment prouver tout le potentiel de la cuisine comme lien humain.

De Tran Anh Hung. Avec Benoît Magimel, Juliette Binoche, Galatea Bellugi. France. 2h15. En salles le 8 novembre

 

 

 

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