Cannes 2012 : KILLING THEM SOFTLY / Critique

22-05-2012 - 14:50 - Par

D’Andrew Dominik. Sélection officielle, en compétition.


Synopsis : Lorsqu’une partie de poker illégale est braquée, c’est tout le monde des bas-fonds de la pègre qui est menacé. Les caïds de la Mafia font appel à Jackie Cogan (Brad Pitt) pour trouver les coupables. Mais entre des commanditaires indécis, des escrocs à la petite semaine, des assassins fatigués et ceux qui ont fomenté le coup, Cogan va avoir du mal à garder le contrôle d’une situation qui dégénère…
Après L’ASSASSINAT DE JESSE JAMES PAR LE LÂCHE ROBERT FORD, Andrew Dominik retrouve Brad Pitt et signe l’adaptation du roman de George V. Higgins « L’art et la manière ».
Considéré comme une référence du polar et qualifié par le New Yorker de chef-d’œuvre de son auteur, celui ci est surnommé «le Balzac des bas-fonds de Boston».
Dialogues ciselés, humour dévastateur, vision sans concession de l’Amérique, l’histoire nous conduit dans les arcanes de l’enfer d’une pègre où certains ont décidé de piétiner les codes d’honneur et Cogan de restaurer celui de ses commanditaires.

Après avoir brillamment exploré les mythes fondateurs et violents de l’Amérique dans L’ASSASSINAT DE JESSE JAMES, Andrew Dominik revient avec KILLING THEM SOFTLY pour ausculter ces mêmes mythes, ce qu’ils sont devenus, comment ils ont fait face à l’évolution du monde et des États-Unis. Autant dire que le spectacle n’est pas beau à voir : c’est ainsi une galerie de personnages usés que Dominik filme, de petits mafieux sortant de prison sans savoir quoi faire de leur vie – se ranger ? Continuer les coups pendables ? Mais lesquels ? –, de parrains ne parlant que par la voix de leur avocat et ne prenant des décisions que collégiales, comme le conseil d’administration d’une entreprise, d’hommes de main old school travaillant selon des règles dépassées… Cette ronde d’anti-héros, loin des classieux malfrats de Scorsese, ou des petites frappes fendardes de Tarantino, Dominik les baigne dans une atmosphère de fin du monde. Ou plutôt, de fin de règne. Car l’Amérique de KILLING THEM SOFTLY – contrairement au roman de George Higgins dont il s’inspire, se déroulant dans les 70’s –, c’est celle de 2008, de l’après Katrina (le film a été tourné à la Nouvelle Orléans), du début de la crise des subprimes et du scrutin présidentiel opposant Obama à McCain. Andrew Dominik, tout en restant extrêmement fidèle au livre d’Higgins dans son récit, ses personnages et même ses dialogues – parfois à la virgule près –, parvient ainsi à faire de ce thriller pulp classique un opus hautement politique, contaminant son regard sur le crime organisé par une ironie ultra mordante. Et livrer ainsi un portrait des États-Unis inédit dans le genre, où mafia et gouvernement sont ramenés au même niveau, où les malfrats sont aussi usés que les ouvriers, et où le rêve américain n’est plus qu’un souvenir diffus. Même le dollar se fait rare. KILLING THEM SOFTLY se révèle donc passionnant à bien des égards, d’autant que Dominik accompagne sa démonstration d’une esthétique sublime, entre photographie maronnasse, pluvieuse et nocturne, bande-son signifiante (« The Man Comes Around » de Johnny Cash, pour n’en citer qu’une), ralentis déconstruisant la violence et les « valeurs » de son héros, Jackie Cogan, campé par un Brad Pitt tout en subtilité et charisme sardonique. On regrettera toutefois que Dominik appuie parfois inutilement son propos, au risque de friser le pléonasme ou la redite. Le message politique est ainsi asséné toutes les deux scènes via des séquences radio ou télé de discours politiques : si certaines commentent à merveille la scène passée ou celle à venir, le procédé se révèle parfois superfétatoire. D’autant que les dialogues du film, prodigieux – tout ce que Tarantino ne sait plus faire – suffisaient à rendre transparent le propos. Au point que la dernière scène de KILLING THEM SOFTLY, qui en rajoute dans le surlignage du propos, finit de faire du film une œuvre ayant peur de son intelligence, assénant le message au marteau histoire de bien le faire comprendre. Comme si Andrew Dominik n’avait confiance ni en son public, ni en lui-même. À moins que ce soit une concession faite à ses producteurs, les Weinstein et Megan Ellison. C’est bien le seule gros reproche qu’on fera à KILLING THEM SOFTLY : d’être un long-métrage commentant plus l’actualité que cherchant l’intemporalité, d’être un excellent film quand il aurait pu être un chef d’œuvre. Un problème de riches, en somme.

D’Andrew Dominik. Avec Brad Pitt, James Gandolfini, Ben Mendelsohn. USA. 1h40. Sortie le 17 octobre

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