LA ZONE D’INTÉRÊT : chronique

31-01-2024 - 17:07 - Par

LA ZONE D’INTÉRÊT : chronique

Jonathan Glazer continue de travailler la notion de regard. Un geste de mise en scène aussi fort et radical que redondant.

 

Accompagnée de ses enfants, une femme fête l’anniversaire de son mari. Contrechamp : par-delà la palissade du jardin s’élève le mirador d’un camp de concentration. Avec sa caméra observatrice, fantomatique, usant du grand angle comme d’une dissociation, de plans fixes comme d’une sentence, LA ZONE D’INTÉRÊT capte la vie des Höss, dont le père est commandant d’Auschwitz-Birkenau. Des instants anodins, joyeux, bucoliques. Des rires, des disputes. Sauf qu’entre la poire et le dessert, on discute spoliation des Juifs et performances des fours crématoires ; on sert le goûter en feignant d’ignorer le nuage de vapeur qu’un train vomit à l’horizon. L’horreur s’immisce hors champ, en fond sonore, et devient paradoxalement plus frontale. LA ZONE D’INTÉRÊT multiplie les éléments, discrets ou plus visibles, et les agrège en un effet d’accumulation qui, peu à peu, soumet le spectateur. Insupportable ? Évidemment. La mécanique joue sur un contraste volontairement dérangeant : d’un côté le bonheur revendiqué d’une famille « normale » dont le statut repose sur l’entreprise génocidaire ; de l’autre la mort partout, les victimes réduites à ce qu’il en reste – une dent en or, un os, des cendres. Insupportable, aussi, parce que sans le geste impliqué du public de regarder et d’écouter pour trouver l’horreur, le film s’effondrerait. Tout le cinéma de Jonathan Glazer se retrouve dans cette notion, lui qui a fait du regard la notion centrale de son travail – le trouble de BIRTH naissait du regard de cette femme veuve sur cet enfant affirmant être la réincarnation de son mari ; le regard de l’alien d’UNDER THE SKIN sur l’espèce humaine et en retour, celui des hommes, concupiscent, sur son corps ; les yeux sans vie des masques de THE FALL ; la caméra subjective balayant l’image dans le clip de « Karma Police » de Radiohead. Au centre, le regard du spectateur sur les personnages, idée que Glazer mène donc ici à son apogée. Ce qui ne l’empêche pas de buter sur la redondance de ce dispositif de mise en scène qui ne parvient pas tant à la capitulation ou à la sidération du public qu’à surligner souvent l’évidence. Une fois ce système compris, que reste-t-il ? Les échos du cauchemar. Jonathan Glazer force pendant 106 minutes à nous laisser submerger par l’horreur. Jamais pour essayer de la comprendre mais, et c’est là que réside sans doute sa force, pour en ressentir l’inacceptable, l’inexprimable. Regarder et écouter pour ne pas oublier. Car tandis que l’on nettoie les couloirs d’Auschwitz devenu musée, un peu partout dans le monde rugissent de nouveau les éructations fascistes, racistes et populistes.

De Jonathan Glazer. Avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Maximilian Beck. États-Unis / Grande-Bretagne. 1h46. En salles le 31 janvier

 

 

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