SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE : chronique

14-02-2024 - 09:15 - Par

SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE : chronique

Film fantastique, récit amoureux, drame : SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE est un grand film sur l’amour et ses fantômes, d’une émotion et d’une beauté infinies. Andrew Haigh est un cinéaste rare.

 

Il y a toujours eu quelque chose dans le cinéma d’Andrew Haigh qui dépasse l’entendement. Quelque chose d’un peu magique, d’un peu étrange, une façon de filmer les sentiments comme un hasard, un coup du destin, heureux ou fatal. Depuis au moins WEEK-END mais aussi sa série LOOKING ou encore 45 ANS, son cinéma dissèque, avec une infinie douceur, la beauté et la violence de s’abandonner à l’autre. L’amour et l’autre comme un mystère. C’est tout le sujet de SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE qui emprunte directement ici un chemin fantastique pour mieux revenir à l’intime. Scénariste solitaire, perdu dans un immeuble anonyme, Adam (Andrew Scott) traîne sa mélancolie. Par un étrange procédé que jamais Haigh, intelligemment, ne cherche à justifier, il retrouve sa maison d’enfance intacte, avec à l’intérieur son père et sa mère, décédés dans un accident de voiture alors qu’il était très jeune, comme figés dans le temps (Claire Foy et Jamie Bell, extraordinaires en parents d’un autre temps). De ce postulat très proustien – revenir adulte dans son passé, retrouver sa chambre d’enfant, les odeurs, les gestes – Haigh tire le meilleur grâce à la dimension toujours délicate et sensible de sa mise en scène. Il filme le trouble fantastique comme une secousse intérieure qui vient ouvrir une porte en nous que le temps aurait refermé. Il y a quelque chose de spielbergien là-dedans, à la fois merveilleux et douloureux, qui affronte la part d’ombres des fantômes de l’enfance. Mais un Spielberg sensuel, sensoriel. Tandis qu’Adam tente de consolider les douleurs du passé par le fantastique, il fait également la connaissance d’un jeune homme, voisin lui aussi un peu égaré (Paul Mescal). Petit à petit, Haigh trace un parallèle entre l’amour familial perdu et la peur de s’abandonner à l’autre. Brillant acteur de théâtre, pour toujours le ‘Hot Priest’ de FLEABAG, Andrew Scott offre au film toute son humanité. Il forme avec Paul Mescal un duo où les corps prennent le relai des mots. Grand film sur la perte, sur le deuil, SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE s’interroge avec gravité et pourtant une infinie douceur sur nos ratés, les non-dits, ce qu’on aurait pu faire pour sauver l’autre mais aussi se sauver soi-même. Mystérieux, elliptique parfois, le film agit comme un conte, un miroir tendu au spectateur pour qu’à travers ses larmes, à travers tout ce qui le traverse dans ce film comme un soleil noir, un voyage au pays des morts, quelque chose éclose qui n’appartienne qu’à lui. La tête pleine d’images, de sons et d’émotions, on sort de ce film troublé, peut-être même un peu changé.

De Andrew Haigh. Avec Andrew Scott, Paul Mescal, Claire Foy, Jamie Bell. Grande-Bretagne. 1h45. En salles le 14 février

Note : 5

 

 

 

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