LES CARNETS DE SIEGFRIED : chronique

05-03-2024 - 17:19 - Par

LES CARNETS DE SIEGFRIED : chronique

Terence Davies se penche sur le destin de Siegfried Sassoon, soldat pacifiste et poète en guerre. Hanté et tout en retenue : magnifique.

 

Terence Davies n’aurait pas pu tirer sa révérence de plus splendide manière qu’avec ces CARNETS DE SIEGFRIED. Car, au-delà de l’emballement du cœur qu’il procure, le neuvième et ultime film de fiction du cinéaste anglais décédé en octobre dernier explore le vide. Le grand vide, celui du deuil – et ses corollaires, les regrets et les souvenirs. D’inévitables passerelles méta se font ainsi jour, d’autant que le réalisateur se voit actuellement célébré au Centre Pompidou alors que lui-même rend ici hommage à un autre artiste, Siegfried Sassoon, poète homosexuel qui, dans ses textes, s’est épanché sur son expérience comme soldat sur le front de la Première Guerre mondiale, où il perdit son frère. Davies, lui aussi homosexuel et qui a perdu une part de sa fratrie durant l’enfance, embrasse son sujet de tout son cœur, avec une sorte de tact sentimental. Ce que d’aucuns pourraient interpréter comme de la distance académique n’est en fait rien d’autre qu’une immense pudeur qui, sans jamais taire les émotions, n’essaie pourtant jamais de les imposer. Parti à la guerre, Siegfried en revient privé de son frère qu’il adore, enragé d’avoir vu ses compagnons d’infortune tomber dans la fange, sacrifiés au bon vouloir de gouvernements engagés dans un conflit absurde. À son retour du front, il se débat avec sa peine, son traumatisme et sa colère. Avec son homosexualité aussi qui, et ce n’est pas la moindre des belles idées du film, devient pour lui une nouvelle guerre – sublime scène où l’un de ses amants qualifie un hypothétique mariage de raison avec une femme de « capitulation ultime ». Avec sa narration impressionniste où flashforwards et flashbacks viennent dynamiter le récit, où de tranchantes ellipses font disparaître les proches de Sassoon sans même un au revoir, LES CARNETS DE SIEGFRIED bouscule bien plus que son élégante apparence le laisserait croire. Grâce à la prestation de Jack Lowden (décidément l’un des acteurs britanniques les plus passionnants de l’époque), qui déploie des trésors de nuance entre charme et mélancolie, LES CARNETS DE SIEGFRIED raconte entre les lignes. Dans ses silences et ses lenteurs. En apparence calme et doux, comme bercé par les poèmes de Sassoon lus en voix off, il navigue en réalité sur un océan de tempêtes intérieures, hanté par la douleur, que Terence Davies laisse à voir au spectateur qui en aura l’envie et la patience. Une retenue qui, lorsque Sassoon laisse enfin échapper ses sanglots, se fait terrassante. Comment, alors, ne pas regretter qu’un cinéaste capable de tant de beauté ait pu déjà nous quitter ?

De Terence Davies. Avec Jack Lowden, Simon Russell Beale, Peter Capaldi, Jeremy Irvine. Grande-Bretagne. 2h18. En salles le 6 mars

 

 

 

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