RIVIÈRE DE NUIT : chronique

05-03-2024 - 17:18 - Par

RIVIÈRE DE NUIT : chronique

Sortie, dans une magnifique version restaurée, du premier film en couleurs de Kozaburo Yoshimura. Une splendeur de mélodrame à ne pas rater.

 

Le conflit entre tradition et modernité peut parfois apparaître comme un prisme éculé pour appréhender le Japon et les questionnements qui le traversent. La friction n’en demeure pas moins souvent réelle. Et passionnante, comme dans RIVIÈRE DE NUIT, qui en fait le cœur battant et le point de départ du parcours de sa protagoniste, Kiwa, créatrice de kimonos qu’elle confectionne dans l’atelier de teinturerie de son père. 

Par son décor, Kyoto la traditionnelle, en opposition à Tokyo la moderne ; par son regard sur l’évolution du droit du travail – un apprenti préfère travailler à l’usine plutôt qu’auprès d’un maître exigeant – ou sur celle des comportements des consommateurs ; par ce qu’il raconte des élans d’occidentalisation de la culture nippone après-guerre, notamment de sa mode ; RIVIÈRE DE NUIT établit avec poigne son contexte, et explore tout ce que le Japon, dix ans après la Seconde guerre mondiale et le trauma atomique, peut encore avoir comme rémanences féodales. Un contexte éminemment patriarcal, comme un corset, que Kiwa va tranquillement s’évertuer à desserrer. Trentenaire indépendante que sa famille et la société aimeraient voir mariée, elle insuffle modernité à la tradition, en imprimant notamment sur ses kimonos des motifs qu’un marchand juge « futuristes ».

RIVIÈRE DE NUIT repose entièrement sur ce personnage de femme remarquablement écrite par la scénariste Sumie Tanaka, que Kozaburo Yoshimura met en scène avec grâce et à laquelle Fujiko Yamamoto offre un stoïcisme bouleversant, entre force obligée et élégance innée. Une femme qui, bien qu’elle souffre en silence, souvent avec le sourire, traverse son existence en espérant le meilleur. L’histoire d’amour qui, bientôt, va la lier à Takemura, professeur d’université marié et père de famille, mène RIVIÈRE DE NUIT vers des torrents de sensualité et de sentiments refoulés, comme si Douglas Sirk avait subitement investi le Japon des années 50. La tempête des sentiments qui se joue explose alors à l’écran par la grâce de la photographie du Maître Kazuo Miyagawa (RASHOMON, LES CONTES DE LA LUNE VAGUE APRÈS LA PLUIE, HERBES FLOTTANTES, etc.). Son travail chromatique (noirs extrêmement denses ; couleurs primaires et secondaires flamboyantes tranchant avec des pastels de gris et de bruns) et sa lumière sculptent les contours du mélodrame et atteignent des sommets de sophistication et de raffinement lors d’une très évocatrice séquence nocturne à l’hôtel. Splendide, tout simplement.

De Kozaburo Yoshimura. Avec Fujiko Yamamoto, Ken Uehara. Japon. 1956. En salles le 6 mars

 

 

 

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