FERRARI : chronique

07-03-2024 - 10:46 - Par

FERRARI : chronique

Le film biographique d’Enzo Ferrari par Michael Mann n’est peut-être pas celui que tout le monde attendait. Il n’en reste pas moins un beau geste de cinéma classique.

 

« They died in the steel I made », entend-on Enzo Ferrari dire dans la bouche de son interprète Adam Driver, comme s’il était Héphaïstos lui-même, divinité grecque de la forge, du feu et du métal. Quelques instants plus tard, un membre de la presse compare « Il Commendatore » à une autre figure mythologique, romaine cette fois, Saturne, dieu du temps et de la mort, mais tel que représenté par Goya : dévorant ses enfants. En cette deuxième moitié des années 1950, Enzo Ferrari a beau faire partie de l’Olympe automobile, il est, comme le sont souvent ses homologues mythologiques, empêtré dans une existence chaotique faite de tromperies et de deuils. Et c’est cette face intime, par-delà la vitrine divine, que FERRARI entend dévoiler. Enzo Ferrari qui, au désespoir de sa mère, a perdu son frère à la guerre il y a des années, pleure désormais son fils Dino, mort d’une longue maladie. Ses relations avec son épouse Laura (Penélope Cruz) se tendent, d’autant que celle-ci découvre qu’Enzo entretient une longue relation adultère avec Lina (Shailene Woodley), qui lui a donné un fils, Piero, désormais son seul héritier. Pour assainir sa firme en danger et remettre un peu d’ordre dans sa vie, Enzo se donne un objectif : que Ferrari remporte la course des Mille Milles. Sur un tel sujet, on aurait pu attendre de Michael Mann un grand film de forme, un objet glacialement virtuose, presque inhumain, lancé à tombeau ouvert sur les routes de l’abstraction. Il livre à peu près tout le contraire et, bien qu’il signe quelques grands moments de bravoure automobiles où la maestria technique se fait vecteur exaltant d’énergie, il se désintéresse assez globalement de ce que représente Ferrari, la marque, pour focaliser son attention sur Ferrari, l’homme. Si Mann décortique évidemment ce que traverse la firme en cette année 1957, avec notamment des possibilités de rachat par Fiat, il le fait moins pour étudier l’histoire industrielle de Ferrari que pour sonder la relation entre Enzo et Laura, son épouse, associée et gérante. Une manière de passer au microscope la complexité de leur union, la confiance qui les lie, la colère et le ressentiment aussi, l’amour qu’ils croyaient indéfectible mais que le temps et la mort ont usé. Hanté, FERRARI filme entre Enzo et Laura ce qui manque, une absence cruelle, celle du fils Dino ; tout comme, entre Enzo et Lina, il filme une présence lumineuse, celle de Piero – contrepoint de la vie à la mort. Vie. Mort. Deux extrêmes que FERRARI ne cesse d’entremêler assez magnifiquement : Enzo ne semble jamais aussi humain que lorsqu’il parle à la tombe de son fils ; les pilotes, avant l’exultation de la course, écrivent des missives funèbres à leurs femmes, au cas où ; dans les rues de Rome, les pierres antiques du Colisée observent les monstres rugissants de Ferrari. Le point de vue intime qu’embrasse FERRARI peut surprendre car il apparaît classique, presque trop. Pourtant, c’est bien en refusant de filmer la légende et bien l’homme pétri de chagrin que le cinéaste fait acte d’audace. Dans ce geste, il fait aussi montre d’une grande pudeur. Si l’on retrouve ici une de ses signatures – ses splendides gros plans de visage en amorce –, Mann apparaît presque en retrait, peu enclin à sa virtuosité habituelle. Il laisse parler d’un côté les lumières sépulcrales de son chef opérateur Erik Messerschmidt, qui sculpte les ténèbres comme aurait pu le faire Gordon Willis, et de l’autre les notes de son compositeur Daniel Pemberton, dont la partition opératique oscille intelligemment entre contrôle et chaos. Qu’un cinéaste ose ainsi presque s’effacer dans ce qui s’impose comme un film de fantômes n’est pas le moindre des gestes de mise en scène.

De Michael Mann. Avec Adam Driver, Penélope Cruz, Shailene Woodley. États-Unis. 2h10. Sur Amazon Prime Vidéo le 8 mars

 

 

 

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