Cannes 2014 : SAINT LAURENT / Critique

17-05-2014 - 23:34 - Par

De Bertrand Bonello. Sélection officielle, en compétition.

Synopsis officiel :
1967 – 1976.
La rencontre de l’un des plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre.
 Aucun des deux n’en sortira intact.

Une silhouette emmitouflée dans un grand imperméable traverse le hall d’un hôtel. Caché derrière des lunettes noires et un chapeau, l’homme qui se fait appeler « M.Swan » demande une chambre. « -Vous venez à Paris pour affaires, Monsieur Swan ? – Non, pour dormir ». Avec ce prologue étrange et sensuel, Bonello donne le ton. Son SAINT LAURENT est un film de vampire. Le créateur est ici une créature, fragile et féroce, victime d’une inexorable damnation que le film épouse pas à pas. Mais comment raconter la vie d’un homme sur qui le temps ne semble pas couler ? C’est toute la beauté de ce film mausolée, traversé de fantômes et de grâce. En 2h30, le réalisateur signe à la fois un film extrêmement généreux et absolument radical. En l’état, il semble suivre une chronologie assez fidèle, racontant les heures de gloire, puis la décadence physique du roi de la mode des 70’s. Mais au milieu de cette avancée perpétuelle du temps, Saint Laurent trône, immuable. Doucement le film glisse de la reconstitution précise et documentée vers une forme de ressassement mélancolique absolument bouleversante. SAINT LAURENT est aussi bien un film sur des mains qui travaillent que sur un regard qui s’ennuie. Bonello réussit un film stupéfiant, parce qu’à la fois parfaitement théorique et totalement charnel, un peu à l’image des PREDATEURS de Tony Scott. Gaspard Ulliel, phénoménal, habite de son corps gracile la carrure féline et troublante du personnage. Comme un chat, il se déplace langoureusement sur l’écran, traînant derrière lui un étrange parfum empoisonné. Il est à la fois présent et absent, comme toujours à l’écart du monde. Avec L’APOLLONIDE, Bonello avait raconté la fin du XIXe comme un carnaval funèbre. Il souffle dans SAINT LAURENT ce même air vicié, cette même puissance mortifère qui transforme ici cette évocation des années 1970 en élégie macabre. Si les faits « historiques » sont là, le film cherche très vite à raconter autre chose. Le regard du film glisse sans arrêt de l’intérieur à l’extérieur du personnage. À la fois sujet et objet, le créateur vampirise tout et se dissout dans l’air. Comme une hantise, il est là partout, tout le temps à l’écran, même quand il n’y est pas. Il est dans les mots, dans les gestes des gens qui l’entourent et qu’il anime de son simple regard. Comme possédés, ils s’agitent autour de lui, dansent dans l’espoir de le séduire, l’aiment dans la crainte d’être aimés. Mais Saint-Laurent est ailleurs, loin du monde des vivants. Sa rencontre avec Jacques de Bascher, gigolo et mondain va le réanimer. Bonello filme la rencontre de ces deux vampires dans une séquence sublime, à la fois légère et animale. Petit à petit, le film quitte la lumière et s’enfonce plus profondément encore dans des rites nocturnes et les zones d’ombres. Succombant au pouvoir de son personnage, le film abandonne alors toute chronologie et se transforme en labyrinthe temporel. Le vieux Saint Laurent croise le jeune, les corps deviennent interchangeables. Le temps n’existe plus. On reste alors au terme de ces 2h30 totalement subjugué par la beauté de ce biopic qui a, comme son personnage, l’intelligence de s’abstraire du temps plutôt que de courir vainement à la recherche du temps perdu.

De Bertrand Bonello. Avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Louis Garrel, Léa Seydoux. France. 2h15. Sortie le 1er octobre

Crédit Photos : Carole Bethuel

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