MAN OF STEEL : chronique

16-06-2013 - 17:31 - Par

Superman effectue un retour en demi-teinte : ou quand le devoir de spectaculaire ruine une belle étude de personnage, contemporaine et émouvante.

Depuis le début des années 2000 et la réussite de X-MEN, le comic-book movie s’est imposé en genre quasi roi à Hollywood. La grande majorité des héros stars – de Spider-Man à Batman, en passant par Iron Man ou Thor – ont connu une seconde vie sur l’écran, couronnée de succès phénoménaux, ayant abouti à ceux milliardaires en dollars de THE DARK KNIGHT, AVENGERS ou IRON MAN 3. Restait le cas Superman : père de tous les super-héros, icône entre toutes les icônes, l’Homme d’Acier demeure encore, pour le public actuel, profondément associé à la formidable adaptation signée Richard Donner en 1978. La tentative de résurrection initiée par Bryan Singer en 2006, SUPERMAN RETURNS, bien moins catastrophique qu’on le dit trop souvent, mais profondément inégale, n’avait pas permis au héros de réclamer le trône qui lui est dû. Alors voir celui qui a sauvé Batman des griffes de Joel Schumacher, Christopher Nolan, se saisir du mythe et produire un reboot ne pouvait qu’exciter les appétits cinéphiles. Surtout avec David Goyer – son coauteur sur DARK KNIGHT – au scénario et Zack Snyder – pour peu que ses élans stylistiques soient canalisés – à la réalisation.

Pendant près de 90 minutes, une magie indicible et irréfutable opère. La sensation de redécouvrir enfin un héros qui s’était tu pendant trop longtemps, de retrouver un ami ayant inspiré nos jeunes années, se fait particulièrement prégnante : Superman est là, vibrant, vivant devant nos yeux, sans que jamais la réalité de son existence ne soit remise en doute. Goyer et Snyder parviennent à ressusciter le mythe comme si Superman, bien qu’âgé de 75 ans, connaissait ici sa première incarnation. Cette première heure et demie s’avère presque parfaite – en dépit de quelques facilités scénaristiques eu égard à la relation Clark / Lois. Le script pose des enjeux ambitieux et clairs. Les moments de bravoure émergent avec parcimonie et servent le récit. La plupart des personnages affichent une réelle profondeur, dans tout ce que leur psychologie a d’universel. Surtout que David Goyer a la malice de ne pas refaire la genèse de Superman per se : cette histoire connue de tous, il la commente, plus qu’il ne la conte de nouveau. Il l’aborde par le truchement d’une construction en flashbacks maligne, gracieuse et prenante, et par le prisme des états d’âme d’un enfant, d’un adolescent, d’un jeune adulte, d’un fils. De Clark Kent. MAN OF STEEL parvient ainsi à offrir au personnage des atours furieusement contemporains. D’aucuns fans hardcore reprocheront sans doute au film sa relecture extrême de la relation entre Clark et Pa Kent – incarné par un Kevin Costner illuminant chacune de ses scènes d’une présence résumant le cœur de l’Amérique. Sans trop en dévoiler, impossible pourtant de ne pas y voir une pertinence folle, à l’époque où le bullying est un débat national aux USA et à l’heure où leur différence pousse de plus en plus d’adolescents à se suicider. Plus généralement, le point de vue de MAN OF STEEL sur Superman, loin de la candeur fascinée de Donner, s’avère des plus actuels. Tout comme le sont les enjeux dramatiques qui animent le passage de Clark de héros de l’ombre à super-héros / demi-dieu inspirant le bien et l’optimisme. Porté par un Henry Cavill solaire, qui se saisit d’un rôle casse-gueule avec une conviction souvent bouleversante, MAN OF STEEL vise très souvent juste pendant près de 90 minutes. De la personnalité de Lois Lane à celle de Zod, cette créature dont le but existentiel, inscrit dans son ADN même, le pousse vers un autoritarisme auquel il ne peut échapper. De sa mise en scène posée et gracile, au score de Hans Zimmer, sans doute son œuvre la plus humaine et fragile, faisant danser l’épique sur un fil mélancolique poignant.

Pendant près de 90 minutes, MAN OF STEEL n’est pas loin de s’imposer en grand film de super-héros. En grand film tout court. Jusqu’à ce qu’un devoir de spectaculaire ne vienne littéralement tout ruiner. « Justifions le prix du billet, la 3D et l’IMAX » ou « Donnons au public ce qui manquait à SUPERMAN RETURNS : la pyrotechnie » semblent être les crédos de la seconde moitié de MAN OF STEEL. Batailles au sol, dans les airs, sur la mer, à deux, à trois, à quatre, à cinquante, explosions, trains en flammes qui volent, militaires, Kryptoniens, un immeuble qui tombe, puis deux, puis quatorze, super-pouvoirs dans tous les sens, hélicoptères, « bim bam, shtebing » : la mue de MAN OF STEEL en blockbuster estival d’action est quasi insupportable. Du moins, elle suscite un profond ennui. Car en voulant en mettre plein les yeux au public et en lui jetant à la figure ses indécents moyens – le tout en ratant pas mal de fonds verts et de SFX, un comble – Zack Snyder rend ce qui devrait être extraordinaire, totalement anodin. Après avoir minutieusement bâti un comic book movie organique et conscient, pétri d’enjeux sincères et touchants, il annihile toutes ses intentions pour livrer un blockbuster numérique et désincarné de plus. Pire : non seulement les personnages se voient subitement aspirés dans un vortex de bruit et d’images abstraites dans lequel ils perdent toute substance – où est Lois Lane pendant ces 50 minutes de bravoure, si ce n’est au sol, à regarder le ciel ? – mais même Superman s’y voit éradiqué. Le personnage profond et attachant ne devient qu’un destructeur de masse, ne cherchant pas tant à servir l’Humanité, à la protéger et à la magnifier, qu’à terrasser son ennemi. Contaminé par un syndrome post-traumatique du 11-septembre dans son imagerie – là où THE DARK KNIGHT ne l’était que dans son esprit –  MAN OF STEEL nous montre un Superman passant son temps à faire tomber des buildings. Sans que cela n’ait la moindre importance, ni pour lui, ni pour nous. Certes, tout cela aboutit à à un instant tragique d’une grâce folle qui offre un regard nouveau et très sombre sur le destin du héros. Dommage que dans le spectacle superfétatoire qui le précède MAN OF STEEL perde un peu de sa substance.

De Zack Snyder. Avec Henry Cavill, Michael Shannon, Amy Adams, Russell Crowe, Kevin Costner, Diane Lane. États-Unis. 2h20. Sortie le 19 juin

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