FOXCATCHER : chronique

21-01-2015 - 13:07 - Par

Le destin des frères Schultz, champions olympiques de lutte, et la face sombre de la grandeur américaine : FOXCATCHER, tiré d’une histoire vraie, déjoue les codes du thriller pour révéler un cinéma singulier, aussi sophistiqué que puissant.

Dave et Mark Schultz (Mark Ruffalo et Channing Tatum), champions de lutte, préparent les JO de Séoul de 1988. Leur route va croiser celle de John du Pont (Steve Carell), rentier mégalomane et paranoïaque reclus dans sa propriété baptisée « Foxcatcher ». Il leur offre une infrastructure confortable, une prise en charge en pension et ses meilleurs sentiments. Ensemble, ils veulent être la meilleure équipe du monde… Le début d’une lente agonie psychologique et physique. Il fallait un film roide, aussi sympathique qu’un coup de cravache, pour raconter la déliquescence du rêve américain. Les visages sont fermés ; les dialogues, a minima ; les corps, lourds de malaise. Si l’écriture et la mise en scène sont du travail d’orfèvre, cachant derrière un certain classicisme une audace rare dans le cinéma moderne américain, l’interprétation est un véritable tour de force : sous le joug d’un trio d’acteurs explorant les recoins les plus sombres de l’âme humaine, FOXCATCHER est une psychothérapie par la force. Celle de John du Pont, héritier de la plus grande fortune américaine d’alors, qui s’est offert une place centrale dans le milieu de la lutte à grand renfort de fric et de doucereuses promesses : il veut que son équipe gagne pour le pays, il lui fait confiance, ce serait bête – et peut-être dangereux – de décevoir tous les espoirs qu’il a placés en elle. Mark Schultz, personnalité effacée en quête de reconnaissance, va voir en ce mécène un père de substitution, un frère plus attentif et plus protecteur que son vrai frère Dave. Pourtant, la relation entre Mark et John est perverse : la domination qu’exerce Du Pont sur son protégé est financière, intellectuelle et oui, sa dimension sexuelle n’est pas négligeable. C’est l’un des angles qu’explore Bennett Miller. Derrière les yeux parfois vides de John du Pont, derrière les yeux perdus de Mark Schultz, qu’est-ce qui se trame ? De l’amour ? De la haine ? Ou alors un tel mépris pour soi-même qu’aucun mot ne peut l’exprimer. Dans FOXCATCHER, la lutte est une danse charnelle et intime. Entre les frères, il y a la tendresse, mais chez Du Pont, lutteur de pacotille achetant ses victoires, il y a quelque chose qui relève du viol. Comme un Norman Bates trapu et vieillissant, son comportement est hautement œdipien : sa mère, richissime grabataire adorant les chevaux et leur noblesse, méprise la lutte, ce sport « inférieur » d’hommes en spandex. Chez Du Pont, il y a tout ce qu’un homme peut ressentir comme frustrations sexuelles et tous les stratagèmes et les manipulations qu’il peut inventer pour les cacher. Dans une Amérique qui exècre la médiocrité, où l’argent gangrène les valeurs, où l’excellence excuse tous les méfaits, où l’on devient de facto ce qu’on revendique être, les rapports de pouvoir n’ont alors plus rien à voir avec le mérite. FOXCATCHER n’est donc pas un film de sport – comme LE STRATÈGE ne traitait pas vraiment le base-ball non plus –, mais un thriller mental qui terrifie. Les plans sont longs et pesants, l’ambiance – souvent au silence – est absolument glaçante. Mark Ruffalo est accablé par l’inquiétude, Channing Tatum (animal et cérébral) est dévoré par la névrose, et Steve Carell, méconnaissable et toxique, est rongé par la psychose. Le film est creepy de bout en bout. Et surtout, absolument magistral dans la fascination qu’il génère.

De Bennett Miller. Avec Channing Tatum, Steve Carell, Mark Ruffalo. États-Unis. 2h10. Sortie le 21 janvier

 

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