JASON BOURNE : chronique

09-08-2016 - 13:53 - Par

JASON BOURNE : chronique

Paul Greengrass et Matt Damon en font trop sur le terrain de l’action mais compensent avec un propos souvent passionnant sur l’héroïsme et le patriotisme.

JB-PosterPrès de dix ans après avoir découvert la vérité sur son identité, Jason Bourne, reclus dans les confins troublés de l’Europe, est obligé de sortir de sa retraite. Nicky (Julia Stiles), désormais hackeuse pour le compte d’un simili Julian Assange, a en effet des révélations à lui faire sur son passé… La dernière aventure de Jason Bourne en date, LA VENGEANCE DANS LA PEAU, le voyait terminer là où il avait débuté LA MÉMOIRE DANS LA PEAU : flottant à la surface de l’eau, laissé pour mort. Le super-tueur de la CIA effectuait définitivement sa mue, achevait sa révolution en déterrant les secrets inavouables de ses créateurs – tout en revenant aux racines de son existence. Que pourrait donc raconter de plus un quatrième opus ? C’est en partie avec cette question que se débat le script de JASON BOURNE.

D’un côté, Paul Greengrass dévoile de nouvelles indiscrétions sur la genèse de Bourne et sur son passé familial en une tentative un peu maladroite de créer des enjeux intimes. Une idée qui mène l’intrigue de JASON BOURNE et les justifications de ce quatrième volet vers le poussif. De même, si Greengrass filme avec toujours autant d’élan les regards inquiets de Bourne, s’il s’attarde avec empathie sur les cicatrices qui zèbrent son corps, il a aussi tendance à dériver vers des pentes glissantes. Ainsi, on a du mal à reconnaître Jason Bourne quand celui-ci est présenté comme une brute capable d’étendre un mastodonte d’un seul coup de poing. De même, la poursuite automobile dans les rues de Las Vegas, étirée et exagérée jusqu’à l’ennui, apparaît presque comme une autoparodie d’un cinéaste qu’on a connu bien plus inspiré – cf l’incroyable poursuite de LA MORT DANS LA PEAU. Néanmoins, d’un pur point de vue de mise en scène de la tension et de l’action, Greengrass prouve qu’en dehors de toute surenchère due aux inclinations de l’époque, il reste l’un des cinéastes les plus doués du genre lors d’une incroyable séquence en Grèce. Dramatique, épique, haletante, tendue, émouvante, cette séquence permet à JASON BOURNE de surclasser la plupart de ses concurrents actuels en la matière.

JB-PicPar ailleurs, en dépit de ses éléments déclencheurs peu convaincants, JASON BOURNE rectifie le tir lorsque Greengrass lève le voile sur ses véritables intentions. Tout comme LA MORT et LA VENGEANCE s’affichaient en portraits de l’Amérique de George W. Bush, JASON BOURNE se pose en miroir de notre époque – une manière détournée de définir son héros. Jouant de manière évidente sur les enjeux de la sécurité à l’ère d’Internet, sur la collusion entre autorités et technocratie, sur la confrontation entre vie privée et liberté, Greengrass définit surtout un monde qui n’a pas autant changé que les évolutions technologiques le laissent penser. En un dialogue pouvant apparaître anodin – alors qu’il est essentiel et lapidaire –, JASON BOURNE rappelle que les élites naissent toujours au sein des Universités de l’Ivy League américaine et donnent naissance aux mêmes ambitieux et intrigants, génération après génération – réifiés par la très justement arrogante Alicia Vikander et le très ambigu Riz Ahmed.

Le film ne cherche donc pas tant à se faire pertinent sur le sujet des lanceurs d’alerte et des secrets d’État, des risques technologiques et de la surveillance, que sur celui des valeurs et des principes. Si le monde dirigeant ne change pas radicalement, s’il perpétue les mêmes erreurs et donne naissance aux mêmes élites, c’est donc bien sur ce terrain de la « morale » que se joue le futur. Si l’on imaginait que ce quatrième volet puisse ériger Bourne en véritable héros classique, le film en fait une figure bien plus trouble et intéressante. Faisant de sa quête de passé un McGuffin, Greengrass lui permet de défendre un concept dépassant celui des idéaux. Dans un élan où toutes ses émotions, aussi contradictoires soient-elles, se mélangent – son désir de vengeance, de justice, de pure défense du Bien –, Bourne refuse autant le camp des lanceurs d’alerte que celui des autorités. Posant une question passionnante (être patriote aujourd’hui, n’est-ce pas l’obligation d’être un traître ?), JASON BOURNE dépeint un homme incapable de devenir un héros dans un monde dépourvu de principes. Pas étonnant, en somme, que l’une des dernières passes d’armes se déroule dans un souterrain, loin du regard du monde, loin de tout triomphe, sans que Bourne ne décroche le moindre mot.

De Paul Greengrass. Avec Matt Damon, Alicia Vikander, Riz Ahmed. États-Unis. 2h04. Sortie le 10 août

3Etoiles5

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.