STAR WARS : Rey-Génération

16-12-2016 - 12:42 - Par

STAR WARS : REY-GÉNÉRATION

Le personnage de Rey cristallise certaines des problématiques actuelles qu’affronte Hollywood. Elle est au cœur d’un changement opéré par une industrie qui cherche encore ses marques.

 

Cet article a été au préalable publié dans le magazine Cinemateaser n°51, daté février 2016

 

Spectatrice de films d’action et de SF, de franchises d’héroïc fantasy, ou des plus triviales VanDammeries ou Seagaleries depuis son enfance, l’auteure de ces lignes a pris un pli vicieux depuis 35 ans : elle s’est habituée à ce que les hommes soient les héros de ses films préférés. Le cinéma américain et/ou commercial l’a habituée, conditionnée, à ce que celui qui se bat et gagne à la fin soit un garçon. « Les histoires servent de guide sur la manière dont on vit et sur ce qu’on attend de la vie, et si vous êtes une fille qui grandit en croyant que ce qu’elle peut attendre au mieux de la vie, c’est d’être le ‘supporting role’ d’un homme, c’est tout ce que vous demanderez jamais », dit Hadley Freeman dans son livre « Life moves pretty fast », lettre d’amour au cinéma des années 80. Désolée, Renée Russo, mais votre concours de cicatrices avec Martin Riggs a toujours eu l’air fake et vous finissez bel et bien dans le lit du goujat suicidaire. Quant à vous Sarah Connor, vous me faisiez peur. Et vous n’étiez pas le sujet. Vous alliez enfanter l’élu et c’est bien tout ce qu’on vous demandait. Sous le coup des prises de position successives de productrices, réalisatrices et actrices, l’industrie a récemment décidé de donner leur chance aux femmes, pour des rôles à subtilité variable – une diversité pour le meilleur ou pour le pire dans laquelle leurs homologues masculins ont cependant pu s’épanouir. En matière de cinéma de baston, on a vu Gina Carano et Ronda Rousey contrarier les chasses gardées de Jason Statham et de Dave Bautista. La comédie de science-fiction a fait de la place à un GHOSTBUSTERS 100% gonzesses. Et le plus grand space opera de l’Histoire vient de renaître grâce à une héroïne extraordinaire, Rey. Les hommes ont eu ça toute leur vie : ces personnages qu’on admire pour leurs valeurs, pour leur force et leur courage, qu’on finit par aimer car ils nous renvoient un idéal de nous. Aujourd’hui, c’est au tour des filles de savoir ce que c’est.

rey-exergueNe pas se méprendre, les filles aussi avaient leurs héroïnes : Baby dans DIRTY DANCING, Rachel Marron dans BODYGUARD, Sally dans QUAND HARRY RENCONTRE SALLY… Des films qui poussent plus ou moins fort le curseur féministe dans le genre très codifié de la romance où les femmes sont définies par l’état amoureux. Erin Brokovich a été une inspiration, mais Julia Roberts est un concept postféministe. Faut-il chercher du côté du pré-Code pour voir une BABY FACE (1933, Alfred E. Green) être l’étendard d’un militantisme ? Oui, mais justement, on ne parle pas d’activisme. On parle de ce qui semble normal et juste. Dans LE RÉVEIL DE LA FORCE, Rey est une héroïne en action. Son parcours n’est pas dicté par un état amoureux ou par son rapport à un homme, mais par une soif d’aventures et des idéaux. Halte là, nous a-t-on rétorqué : ce n’est qu’un décalque de Princesse Leia, proclamée icône féministe par les hommes. Bien sûr, Leia est bien plus maline que Luke et Han réunis. Mais elle ordonne, coordonne, organise. Elle n’utilise ni la Force ni un sabre laser. Et hélas, elle présente tous les symptômes de la demoiselle en détresse dans LA GUERRE DES ÉTOILES et LE RETOUR DU JEDI. Une vision si archaïque de la femme que J.J. Abrams a promu la Princesse Leia en Générale Organa. Même C3P-O a du mal à s’y faire. Rey, elle, est une jeune femme qui n’a aucun besoin d’assistance. À de nombreuses reprises, elle refuse l’aide de Finn. Elle n’a pas besoin qu’on lui prenne la main, merci. Elle bricole, elle pilote, et son obscure expérience avec les Jedi n’explique pas tout : elle est douée et apprend vite. Indépendante ? Quel gros mot. Dans la base Starkiller, alors que Finn s’affole et tente une mission d’exfiltration, Rey est déjà en route pour fuir. Ça ne l’empêche pas d’être heureuse que son ami soit venu à sa rescousse. Et même si J.J. Abrams a l’élégance de l’ellipse, elle finit avec le blouson de Finn sur les épaules, parce qu’un peu de galanterie quand on a frisquet, ça ne se refuse pas.

Depuis que LE RÉVEIL DE LA FORCE passe à la moulinette des analystes les plus éminents, bon nombre de journalistes masculins remettent en question le statut de Rey. D’une part cette facilité à maîtriser la Force alors qu’elle n’a bénéficié d’aucun apprentissage (Luke dégommait l’Étoile Noire en 90 minutes mais c’était plus normal, parce que) et de l’autre, cette étrange décision prise par J.J. Abrams et Kathleen Kennedy de ne pas la sexualiser. Pourquoi le faudrait-il d’ailleurs ? Luke ne l’était pas dans LA GUERRE DES ÉTOILES. Et puis qui dit qu’elle ne le sera jamais ? Rey n’est pas condamnée à être inscrite dans une grande chasteté – bien que les Jedi y soient fortement encouragés. Et enfin, il est clair que Rey est écrite comme une enfant, qui a peur de grandir, de s’attacher et dont la peur de ne jamais revoir sa famille la consigne à une forme attachante de régression. Elle n’est pas Ripley, sexualisée par une certaine domination voire agressivité ou par son rôle de « mère » (ALIENS) ou encore par ses ébats avec le médecin de la prison dans ALIEN 3. Rey, tentée par l’individualisme, va finalement se tourner vers les autres, mais sa quête reste individuelle voire sacrificielle ou ascétique. Carrie Fisher avait prévenu Daisy Ridley des éventuelles dérives lorsqu’on est une femme dans STAR WARS : « Bats-toi pour tes costumes. Ne sois pas une esclave comme je l’ai été, a expliqué l’actrice quinquagénaire
à sa cadette. Bats-toi contre ce costume d’esclave. » Car Leia a moins été iconisée pour sa force, son tempérament ou son rôle pivot dans la défaite de l’Empire que pour ce fameux bikini doré devenu le fantasme des hommes à travers le temps.

Pour ne rien gâcher, STAR WARS : LE RÉVEIL DE LA FORCE passe haut la main le test Bechdel, qui prend le pouls de la représentation des femmes au cinéma. Inventé dans le comic strip « Dykes to Watch Out For » créé par Alison Bechdel, ce qui était à l’origine un test provocateur est aujourd’hui accepté et utilisé par les institutions hollywoodiennes. Le test pose trois questions : y a-t-il deux personnages féminins dans le film (de préférence désignés par des noms) ? Partagent-elles une conversation ? Cette conversation tourne-t-elle autour d’un autre sujet que l’homme ? LE RÉVEIL DE LA FORCE répond positivement aux trois conditions – et figurez-vous que malgré l’apparente trivialité de ce test Bechdel, très peu de films hollywoodiens correspondent car ils se contentent, en fait, du syndrome de la Schtroumpfette. C’est à dire quand un personnage féminin évolue seul au milieu de personnages masculins comme la première trilogie STAR WARS a su si bien le faire avec Leia. STAR WARS VII mise sur la parité et offre l’opportunité à un large panel de spectatrices (plus large qu’avant, s’entend) de se plonger dans cet univers de science-fiction qui semblait étrangement plus cher aux garçons jusqu’à présent. Mais il offre aussi un modèle, un exemple, à des petites filles en manque d’héroïnes et qui ne veulent plus se contenter de ce que l’industrie leur a concocté avec leurs cases genrées. Ainsi, gageons que dans les Disney Store, on trouvera en rayons, aux côtés des robes de Blanche-Neige et d’Elsa, des costumes de Rey pour les 4- 12 ans. Et s’ils les ont en taille 40, on prend aussi.

 

STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE
Disponible en DVD et Blu-ray

 

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