Dossier AGENTS TRÈS SPÉCIAUX : Les Espions sont éternels

01-02-2016 - 11:38 - Par

Dossier AGENTS TRÈS SPÉCIAUX : Les Espions sont éternels

Un peu plus de cinquante ans après la création de la série télé DES AGENTS TRÈS SPÉCIAUX, les espions Napoleon Solo et Illya Kuryakin ressuscitent au cinéma devant la caméra de Guy Ritchie. Avec le réalisateur et son producteur Lionel Wigram, Cinemateaser explore cette libre adaptation en trois points, de sa genèse tourmentée à son envie de fun en passant par son ADN purement « ritchien ».

 

Ce dossier a été publié au préalable dans le magazine Cinemateaser n°47, daté septembre 2015

 

Uncle-Pic250 ANS, TOUJOURS PUISSANT

Le 22 septembre 1964, NBC diffuse « Duo de mitraillettes », premier épisode de la toute nouvelle série DES AGENTS TRÈS SPÉCIAUX (THE MAN FROM U.N.C.L.E. en VO). Un show créé par Sam Rolfe et Norman Felton dans lequel l’organisation secrète U.N.C.L.E. défend le Bien et combat le T.H.R.U.S.H. Au sein d’U.N.C.L.E. font équipe l’Américain Napoleon Solo (Robert Vaughn) et le Russe Illya Kuryakin (David McCallum). Sans ciller. C’est pourtant l’époque du rideau de fer. Mais aussi celle des acronymes fantasques déclinés du célébrissime SPECTRE des romans de Ian Fleming. Le créateur de James Bond participe d’ailleurs à la création de la série en aidant à concevoir Solo. Très rapidement, DES AGENTS TRÈS SPÉCIAUX enflamme le public et devient un phénomène permettant à toute une vague de séries d’espionnage théâtrales de voir le jour, des ESPIONS à MISSION : IMPOSSIBLE en passant par MAX LA MENACE.

DES AGENTS TRÈS SPÉCIAUC est un monument de la pop culture qui a duré quatre saisons, remporté un Golden Globe en 1966, reçu une quinzaine de nominations aux Emmy, engendré romans, spin-off (THE GIRL FROM U.N.C.L.E.), comic books et autres merchandising mais qui a péri par excès de confiance. « La série avait pour intention d’être James Bond pour la télé, expliquait récemment Robert Vaughn au Hollywood Reporter (THR). Mais lors de la dernière saison, les producteurs ont voulu aller plus loin, lorgner vers BATMAN. DES AGENTS TRÈS SPÉCIAUX est alors passé de théâtral à imbécile et de série n°1 à série annulée. » Pourtant, son aura n’a jamais fléchi – des accessoires de tournage sont exposés au musée de la CIA ! –, si bien que l’idée de l’adapter au cinéma a couru pendant des décennies, histoire de faire oublier les huit longs-métrages sortis en salles entre 1964 et 1968 – en fait, de simples reboutiquages d’épisodes.

Vaughn et McCallum se sont tout d’abord retrouvés pour un téléfilm en 1983, THE RETURN OF THE MAN FROM U.N.C.L.E. Dix ans plus tard, en 1993, débute le chemin de croix du producteur John Davis (PREDATOR, la série THE BLACKLIST) qui, après avoir posé une option sur les droits, va passer vingt ans à porter le projet à bout de bras. « J’adorais la série étant gosse, c’était le show le plus cool au monde », se souvenait-il récemment dans les pages du THR. Le magazine rappelle alors la somme de talents avec qui Davis a bossé au fil des ans. Du côté des scénaristes se sont notamment succédés Jim & John Thomas (PREDATOR), John Requa & Glenn Ficarra (DIVERSION) ou Scott Z. Burns (CONTAGION). Pour les réalisateurs, on a parlé de Tarantino, Matthew Vaughn, David Dobkin puis Steven Soderbergh. Ce dernier, qui avait successivement proposé le rôle de Solo à George Clooney, Matt Damon, Johnny Depp, Bradley Cooper ou Channing Tatum, a été le candidat le plus sérieux avant qu’il ne tourne les talons fin 2011, incapable de se mettre d’accord sur un budget avec Warner.

La version gagnante, assez éloignée de ce qu’était la série et faisant office d’origin story, est au final cornaquée par Guy Ritchie, qui coécrit le scénario avec son producteur de SHERLOCK HOLMES, Lionel Wigram. Que des cinéastes aussi différents les uns des autres aient pu être attirés par AGENTS TRÈS SPÉCIAUX en dit long sur l’aura de la série. « C’est drôle car j’ai eu cette conversation avec Quentin Tarantino l’autre soir, nous dit Guy Ritchie quand nous le rencontrons à Londres. Il me disait à quel point il aimait DES AGENTS TRÈS SPÉCIAUX. Il a son propre cinéma à Los Angeles et une semaine avant la sortie de notre film, il va y faire projeter les différents longs-métrages U.N.C.L.E. des 60’s. Il aurait adoré mettre la main sur le projet cinéma mais je n’en avais aucune idée avant de me pencher moi-même sur le projet. En fait, je n’étais même pas au courant que Soderbergh avait bossé dessus. À partir du moment où on nous l’a proposé, je me suis souvenu que j’aimais le ton de la série. J’avais envie de m’y frotter. » Mais parce qu’adapter DES AGENTS TRÈS SPÉCIAUX n’a rien d’aisé, Ritchie et Wigram ont eux aussi connu un soubresaut majeur : le départ en cours de préproduction de Tom Cruise, choisi pour incarner Napoleon Solo et finalement remplacé par Henry Cavill. Un départ qui engendre une baisse significative de budget. Or, pour Ritchie et Wigram, débuter avec une franchise potentielle comme AGENTS TRÈS SPÉCIAUX est un challenge de taille : le film est le premier projet de leur société de production commune, Ritchie/Wigram Productions. « Les franchises attirent l’industrie car le public est familier de l’univers abordé. Lionel et moi n’échappons pas à ça. Maintenant que nous avons établi ce monde, on trouverait ça chouette de continuer. » Mais pour connaître le futur de cette licence débutée voilà cinquante ans, il va falloir attendre le box-office mondial final…

 

Uncle-Pic1LE RETOUR DU RETOUR DU FUN

Après Matthew Vaughn et son KINGSMAN, Guy Ritchie est le deuxième réalisateur anglais à chercher à remettre du fun, du laid back et de l’irrévérence cool dans le film d’action/espionnage. L’ironie du sort voulant que Vaughn a débuté comme producteur de Ritchie. Alors pourquoi les Anglais ont-ils cette obsession de ressusciter l’amusement à une période où tant de blockbusters cherchent le réalisme sombre ? « Je n’ai pas la réponse à cette question, nous rétorque Ritchie. C’est forcément une coïncidence – Vaughn tournait en même temps que nous. Lionel et moi étions attirés par ce projet parce que cela se déroulait dans les 60’s et que ça concernait deux mecs. Personne d’autre ne semblait faire quelque chose de similaire. À nos yeux, l’espionnage était secondaire. Ce qui nous importait en tout premier lieu, c’était le ton. »

D’où le contexte historique. « Il nous paraissait évident qu’un tel film ne pouvait fonctionner que s’il se déroulait dans les années 1960 », ajoute Ritchie. « Il y a trop de films d’espionnage [se déroulant de nos jours], précise Lionel Wigram. Avec les 60’s, il y avait l’opportunité de confectionner quelque chose d’intéressant. Guy et moi aimons les films d’époque, nous aimons créer des mondes. »

Mettons clairement les pieds dans le plat : pour Vaughn comme pour Ritchie/Wigram, tâter du film d’espionnage et y insuffler une volonté exacerbée d’entertainment n’est-il pas une manière de réclamer un héritage intouchable : celui des premiers James Bond ? Tout producteur ou cinéaste britannique doit avoir envie de se frotter au mythe. Bien trop pour peu d’élus… KINGSMAN ou U.N.C.L.E. ne sont-ils pas des substituts de luxe ? « Peut-être, reconnaît Wigram. On a tous grandi avec James Bond mais aussi avec des films comme IPCRESS – DANGER IMMÉDIAT (adaptation par Sidney J. Furie d’un roman de Len Deighton dans laquelle Michael Caine incarne l’espion Harry Palmer, ndlr) ou LE SECRET DU RAPPORT QUILLER (de Michael Anderson avec George Segal et Alec Guinness, ndlr), tous ces films des 60’s que notre génération a découverts un peu plus tard, durant les 70’s. Quand nous étions gamins, ils étaient importants. L’idée de donner aux kids d’aujourd’hui un film qui leur offrirait le même genre d’expérience était excitante à nos yeux. Rendre un film d’époque accessible à un public contemporain en utilisant un langage moderne était un bon challenge. »

 

Uncle-Pic3CODE R.I.T.C.H.I.E.

Utiliser un langage moderne dans un film d’époque, Guy Ritchie et Lionel Wigram l’ont déjà fait dans les deux opus de la franchise SHERLOCK HOLMES et ils poussent ici le mécanisme à son paroxysme. À bien des égards, AGENTS TRÈS SPÉCIAUX : CODE U.N.C.L.E. apparaît comme un condensé du film d’espionnage. En deux heures, Ritchie précipite à l’image cinq décennies d’évolution du genre. Il débute le récit à Berlin avec une longue séquence à l’esthétique de film noir et au découpage refusant toute effusion. Au fil des scènes, CODE U.N.C.L.E. se débride, jusqu’au climax et sa poursuite nerveuse en buggy lorgnant vers l’emphase zélée des blockbusters contemporains. Une manière selon Ritchie de respecter « certains passages obligés en forme de révérence au genre ». Mais aussi, au final, de délivrer une sorte de résumé de son propre style qui, depuis ses débuts, consiste en un tonitruant mélange entre vintage et modernité. « Quand on réfléchit à tous les ingrédients compris dans 15 à 30 secondes de film… L’exécution et l’amalgame de toutes ces idées et de tous ces éléments découlent d’un processus à la fois conscient et inconscient. Les éléments contemporains viennent du fait que je suis un cinéaste de mon époque : je suis conscient de ce qui se fait de nos jours. Mais, comme je ne suis pas uniquement contemporain, je fais appel à ma nostalgie et à tout ce qui m’a influencé. Tout ça se retrouve dans le même pot, au final. »

Cette esthétique heurtée rappelle que le cinéma de Guy Ritchie est celui de la confrontation, de la collision des mondes. De petits malfrats se frottant à des parrains (ARNAQUES, CRIMES ET BOTANIQUE, SNATCH, ROCK’NROLLA), d’un génie en avance sur son temps (SHERLOCK HOLMES), d’un agent de la CIA faisant équipe avec un super espion du KGB (AGENTS TRÈS SPÉCIAUX). Un cinéma du contraste. « Oui, tout à fait, acquiesce-t-il. Le cinéma a tout à voir avec le contraste. C’est même ce qui fait un film. Selon moi, si vous n’avez pas cette collision des mondes, vous n’avez pas d’histoire. Vous avez besoin de conflit pour provoquer une émotion. Et ce contraste doit se voir dans l’esthétique. Regardez la colorimétrie d’AGENTS TRÈS SPÉCIAUX : elle est très polarisée. À mes yeux, cela parlera davantage au spectateur qu’un étalonnage réaliste. »

Ritchie, souvent critiqué pour son esthétique fleurant bon l’arrogance des années 90’s et de la culture Britpop toute-puissante, connaît les risques qui accompagnent son style. « Je fais attention à ne pas en faire trop, à ne pas en donner trop. Au départ on voulait faire un film uniquement sur Illya. On aurait aussi pu faire un film sur Solo, à vrai dire. Le souci c’est qu’on ne peut pas se faire trop plaisir en tant que réalisateur car le risque est de finir par s’éparpiller. » On constate même dans AGENTS TRÈS SPÉCIAUX une certaine propension au retrait comme dans cette séquence de débarquement sur une île où Ritchie évacue tout spectaculaire en quelques dizaines de secondes de split-screen. « J’ai une relation amour/haine avec l’action. L’action pour l’action, cela m’ennuie terriblement. En fait, j’estime que si l’on n’a pas un regard particulièrement intéressant sur l’action, quelque chose à dire avec, il vaut mieux ne pas en faire. »

 

 

 

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