LA TOUR SOMBRE : chronique

09-08-2017 - 14:48 - Par

LA TOUR SOMBRE : chronique

Écrit et réalisé sans audace, opérant des changements peu pertinents par rapport à son matériau source, LA TOUR SOMBRE n’a pas grand-chose à proposer, à part un excellent Idris Elba.

Comment adapter une œuvre aussi dense et protéiforme que « La Tour Sombre » de Stephen King ? Une série littéraire en 7 tomes principaux, de près de 5000 pages, balayant un large spectre de genres – du western au récit arthurien, de la SF à l’horreur, de l’aventure métaphysique au drame familial – et évoluant dans une foule de mondes parallèles ? Qu’une adaptation cinéma se doive de résumer, regrouper, couper dans la matrice originelle ne fait aucun doute. Qu’elle nécessite des choix drastiques dans la narration, l’exposition ou l’agencement des informations est une évidence. Le problème de LA TOUR SOMBRE ne réside donc pas tant dans cette nécessité de choix ou de changements mais dans leur pertinence.

Quand Stephen King se calait sur le point de vue de Roland, dernier pistolero de la lignée d’Eld, défenseur de la mystérieuse Tour Sombre – édifice mythologique protecteur du tissu de tous les mondes –, le film de Nikolaj Arcel opte pour celui de Jake, jeune new-yorkais qui devient autant le protégé de Roland que son allié. Ce changement, opéré de manière forcée dans le but de créer une identification du spectateur via un jeune héros devenant vecteur introductif à l’univers, mène tout d’abord le récit vers des schémas éculés (les visions de Jake le font passer pour un fou). Puis il modifie tout bonnement la nature même de « La Tour Sombre » qui passe de récit arthurien mythologico-métaphysique à young adult lambda aux effets SF bien trop prosaïques (comme ces portes entre les mondes, machines technologiques à la STARGATE).

À trop vouloir harponner le spectateur, LA TOUR SOMBRE finit par lutter contre ses racines. Ainsi, en compilant un peu de tous les tomes pour bâtir une mythologie compréhensible, le scénario survole tout et finit par appauvrir l’univers – à l’instar de la présentation de Roland, particulièrement insignifiante. Même l’astuce d’user des rêves et visions de Jake s’avère contre-productive puisqu’elle fragmente le récit et fragilise sa construction dramaturgique, comme s’il évoluait à la vitesse d’une bande-annonce. Ainsi, aucun sentiment d’aventure ou de découverte ne peut émaner des tribulations de Roland et Jake, pourtant campés avec talent et conviction par Idris Elba et Tom Taylor, les deux atouts du film. Aucun sentiment de mystère ne se dégage de l’Homme en Noir, méchant générique interprété basiquement par un Matthew McConaughey absent. En résulte un film sans ambiance, qui ne parvient jamais à jouer avec la force de l’imagerie des genres qui le constituent, qui peine même à imposer ses enjeux, pourtant énormes – le Bien, le Mal, la Vie, la Mort.

Sans doute parce que LA TOUR SOMBRE, à trop vouloir séduire un large public, oublie qu’elle adapte une œuvre de Stephen King, grand pourvoyeur de questionnements existentiels, d’images dérangeantes, de concepts extraordinaires. Or, LA TOUR SOMBRE manque justement d’audace et livre un spectacle sans saveur ni aspérités, qui va jusqu’à lisser la personnalité de Roland. À l’image, rien n’explique sa soudaine empathie pour Jake tandis que le script refuse de nouer leur relation dans la tragédie (ou de trouver une solution de remplacement équivalente). Un drame qui était central dans les livres car essentiel à la caractérisation de l’un et de l’autre, de la quête de Roland et de la fatalité qui la sous-tend. Pire, le dénouement tire une balle dans le pied de la saga et de sa progression dramatique puisqu’il résout ce que King mettait sept tomes à démêler. Filmé sans imagination ni personnalité, LA TOUR SOMBRE se déroule sans accroc, sans passion et refuse d’être davantage qu’une introduction scolaire. Oblitérant la puissance évocatrice des romans et les fondements traumatiques de ses personnages, le film n’a pas grand-chose à proposer. Ce qui, vu la richesse du matériau originel, est peut-être le moins pardonnable.

 

De Nikolaj Arcel. Avec Idris Elba, Tom Taylor, Matthew McConaughey. États-Unis. 1h35. Sortie le 9 août

2Etoiles

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.