LES BONNES MANIÈRES : chronique

20-03-2018 - 20:31 - Par

LES BONNES MANIÈRES : chronique

Deux jeunes cinéastes brésiliens conjuguent le social au merveilleux et à l’épouvante. Du cinéma exigeant mais populaire.

Après s’être occupée d’une vieille dame acariâtre, Clara (Isabél Zuaa) trouve un nouveau boulot dans une banlieue riche de Sao Paulo chez une jeune femme enceinte (Marjorie Estiano) recherchant une employée de maison qui sera nounou en temps voulu. Malgré leurs différences, elles s’entendent très bien et entament une liaison. Mais Clara découvre que les soirs de pleine lune, Ana part errer dans le quartier à la recherche de viande fraîche. Elle accepte la lycanthropie de sa compagne mais qu’adviendra-t-il quand elle accouchera ? Ce sera d’ailleurs le point de bascule du film, construit clairement en deux parties comme deux stades de la vie de femme de Clara. Imaginé comme un conte, dans lequel s’affrontent ou cohabitent les classes, et où le merveilleux émerge soudain du social, LES BONNES MANIÈRES déroule un imaginaire folklorique follement travaillé et sophistiqué. Les deux réalisateurs, Juliana Rojas et Marco Dutra, rendent hommage à la tradition orale via le dessin animé et au cinéma d’horreur classique (le Disney de LA BELLE AU BOIS DORMANT ou le Tourneur de LA FÉLINE en gros) par de sublimes matte paintings ou des lumières expressionnistes. Entre réalisme et féérie, le film nous emporte dans un entre-deux mondes, celui où le cinéma de genre assume une forte conscience politique. Celui où le Brésil des quartiers pauvres se transcende dans le récit fantastique. Alors que le précédent film de Rojas et Dutra, TRABALHAR CANSA (présenté au Festival de Cannes à Un Certain Regard en 2011), peinait à décoller du naturalisme et restait dans le domaine du cérébral, LES BONNES MANIÈRES se départ assez rapidement de la pure critique sociale pour toucher au surnaturel et au spirituel. La seconde partie du film plonge dans le cinéma d’horreur, grâce à des effets spéciaux bluffants (pour un si petit budget), un découpage hyper malin et des péripéties beaucoup plus cruelles. C’est là, quand les thèmes de la maternité et de la différence se font plus clairs et plus précis, que le cinéma de Rojas et Dutra révèle sa puissance, dans des images fortes en émotion et très évocatrices. Impossible à étiqueter, LES BONNES MANIÈRES pioche dans divers genres et diverses influences, visuelles et thématiques, pour reconstruire, comme on ferait un collage, un univers de fantasmagorie très riche, plus porté sur l’épouvante, avec ses geôles, ses lunes rougeaudes et ses lynchages populaires, que l’horreur tel que le cinéma moderne la conçoit. Cela lui permet d’atteindre un certain classicisme, avec ce que ça suggère d’intemporalité et d’universalité. Un film extraordinaire, si ce n’est miraculeux.

De Juliana Rojas et Marco Dutra. Avec Isabél Zuaa, Marjorie Estiano. Brésil. 2h15. Sortie le 21 mars

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