Cannes 2018 : UN COUTEAU DANS LE CŒUR / Critique

18-05-2018 - 18:14 - Par

Cannes 2018 : UN COUTEAU DANS LE CŒUR

De Yann Gonzalez. Sélection officielle, Compétition.

 

Synopsis officiel : Paris, été 1979. Anne est productrice de pornos gays au rabais. Lorsque Loïs, sa monteuse et compagne, la quitte, elle tente de la reconquérir en tournant un film plus ambitieux avec son complice de toujours, le flamboyant Archibald. Mais un de leurs acteurs est retrouvé sauvagement assassiné et Anne est entraînée dans une enquête étrange qui va bouleverser sa vie.

 

Tout commence par le bruit sourd d’une bobine qui défile. L’écran est noir et Gonzalez clair. UN COUTEAU DANS LE CŒUR est une histoire de cinéma, des gens qui le font, des gens qui le regardent, de gens qui l’aiment et de ceux qui le détestent. Tandis qu’une main agile coupe et découpe la bobine d’un film, le réalisateur nous plonge dans les ténèbres d’une boîte de nuit interlope. Les corps dansent, la bobine défile et le va-et-vient entre les corps et les images produit une étrange sensation. Quelque chose d’à la fois doux et inquiétant qui nous chope dès les premiers instants et ne nous lâchera pas avant le sublime générique de fin. Comme en apnée dans un cocon, on se dit qu’on va finir par s’y lover ou s’étouffer. C’est toute la dynamique des contraires de ce faux film d’horreur drôle et triste à la fois, qui fait l’effet d’un train fantôme amoureux.

Anne aime Loïs. Mais Loïs ne l’aime plus. Anne produit des films pornographiques gay, Loïs les monte. Dans le milieu festif de la pornographie des 70’s, un serial killer masqué dézingue avec une excitation sadique les vedettes d’Anne. Mélo + film d’horreur, forcément ça fait giallo. Citant allègrement De Palma et Argento, UN COUTEAU DANS LE CŒUR ravive la flamme perdue de ce cinéma de genre mutant, hyper sanglant et romantique qui, au détour du crade, sondait la tristesse des cœurs brisés. En bon post-moderne, Gonzalez questionne la mélancolie du genre à l’aune du pouvoir des images de cinéma. Jouir, c’est déjà pleurer la fin de la jouissance ; aimer un film, c’est espérer vainement vouloir retenir les images qui défilent. Ce qui nous excite, ce que nous aimons est voué à nous tuer, à nous rendre malheureux, voire à nous rendre fou. De ce postulat, fond et forme s’emboîtent. La proposition est singulière, entière et peut déstabiliser les amateurs de cinéma « narratif ». Construit comme un dédale intime qui voit Anne apprivoiser sa peine, le film nous promène dans un monde toujours à la lisière de l’étrange, entre reconstitution 70’s, hommage formaliste et sublime dérapage lyrique pour nous amener à faire nous- même l’expérience de l’excitation des images et de la tristesse qui s’en suit. Jouant avec les tonalités (un film dans le film hilarant, une bascule fantastique étrange, un faux polar), le film nous oblige à nous raccrocher à nos émotions et à l’effet que produisent sur nous les assemblages de plans (le sublime souvenir de meurtre monté par effet épileptique), le jeu des couleurs, les décadrages, les split screens, tout un attirail d’effets qui ne cherchent pas l’esbroufe mais la sidération mélancolique. Les grands yeux de l’oiseau Paradis sont l’écrin idéal pour ça. Avec l’alacrité de Nicolas Maury, ils forment le tandem parfait.

Drôle, étrange et profondément triste, LE COUTEAU DANS LE CŒUR rappelle que les images sont comme des amours passées, aussi vite disparues dès que la lumière se rallume. La plaie laissée dans nos cœurs y est alors indélébile.

De Yann Gonzalez. Avec Vanessa Paradis, Kate Moran, Nicolas Maury. France. 1h50. Sortie le 27 juin

 

 

 

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