DÉSOBÉISSANCE : chronique

12-06-2018 - 17:07 - Par

DÉSOBÉISSANCE : chronique

Un mélo brut et aride qui finit par éclater dans un lyrisme sensuel et sexuel dévastateur. Un grand film qui file des frissons partout.

 

Quand le cinéma est une affaire de délicatesse, tout est une question d’équilibre. Sebastián Lelio le prouve de film en film : son cinéma maîtrise aussi bien la rage que la douceur. Quelques mois après son oscar mérité pour sa sublime FEMME FANTASTIQUE, DÉSOBÉISSANCE réaffirme haut et fort la puissance de ce cinéma romanesque, sensuel, furieux et lyrique. Bref, tout ce qu’on aime quand on attend du cinéma qu’il nous bouscule et nous chahute. Tournée cette fois en Anglais, cette nouvelle histoire d’amour contrarié et de tempête intérieure n’a, au départ, pas la démesure du film précédent. Baignée d’une lumière crue, l’image granuleuse épouse les contours monochromes du quotidien d’une communauté de juifs orthodoxes très pratiquants. Les femmes portent des perruques noires, des jupes longues, les hommes des costumes sombres et la vie ne déborde jamais des rituels stricts qui rythment le temps. Au milieu de ce monde rigide, les réminiscences sensuelles d’une histoire d’amour interdite vont faire basculer le film dans un lyrisme fou, érotique et déchirant. Une bascule osée que maîtrise parfaitement Lelio. Reprenant le canevas classique du retour d’un personnage exilé (ici Ronit, qui revient chez elle pour l’enterrement de son père avec lequel elle était brouillé) et du secret tacite de son bannissement, le film fonctionne sur la lente montée en pression des émotions et des non-dits. Par un sens précis de la mise en scène, Lelio instaure un climat de désir refoulé entre Ronit (Rachel Weisz) et Esti (Rachel McAdams), la femme de Dovid (Alessandro Nivola). On observe les deux femmes échanger des regards lourds d’un passé lointain. Cela pourrait être grossier ou putassier. C’est infiniment sensible, tenu et délicat. Lelio tire le meilleur du duo Weisz/McAdams en substituant au glamour attendu un réalisme brut, presque tragique. La justesse de leur interprétation, l’intensité de leur implication font beaucoup pour l’expérience troublante que produit le film. Ce sont deux corps, deux cœurs qui se frôlent devant le regard maladroit et inquiet d’un brillant Alessandro Nivola, bouleversant mari dépassé. Quand enfin le désir submerge tout, on est emporté avec lui. Rarement on aura vu des scènes de sexe lesbien aussi belles, à la fois érotiques, engagées et pourtant jamais voyeuristes ou déplacées. Lelio filme tout simplement le désir de ces deux femmes de s’appartenir. C’est d’une beauté évidente, bouleversante, avec ce qu’il faut de cruauté et de tristesse pour être universel. Il n’y a pas plus bouleversant que les mélodrames qui troquent les larmes contre les frissons.

De Sebastián Lelio. Avec Rachel Weisz, Rachel McAdams, Alessandro Nivola. États-Unis. 1h54. Sortie le 13 juin

4Etoiles

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.