PARANOÏA : chronique

11-07-2018 - 10:25 - Par

PARANOÏA : chronique

Steven Soderbergh ne cesse de bousculer son vocabulaire. Nouvelle preuve avec PARANOÏA, thriller cauchemardesque filmé à l’iPhone. À l’échelle du cinéma, un film mineur. Qui n’en reste pas moins très précieux.

 

Les femmes ont toujours occupé une place primordiale dans le cinéma de Steven Soderbergh. Non content d’avoir offert à certaines comédiennes leur meilleur rôle (Jennifer Lopez dans HORS D’ATTEINTE, Catherine Zeta-Jones dans TRAFFIC, Julia Roberts dans ERIN BROCKOVICH), il leur a permis d’incarner des personnages loin du moule hollywoodien, de ses clichés réducteurs définissant les femmes uniquement comme des épouses ou des mères. Jusqu’à PIÉGÉE, qui donnait à Gina Carano l’occasion de faire plier sous les coups toute une bande de jolis cœurs (Channing Tatum, Ewan McGregor, Michael Fassbender…) en une métaphore jouissive de la guerre du sexisme. On ne s’étonne donc pas de voir le cinéaste tomber à point nommé avec PARANOÏA – titre français absurde, loin de la richesse de son homologue anglais, le néologisme UNSANE. Car, même s’il a été mis en boîte à l’été 2017, PARANOÏA capte à la perfection l’air du temps de #MeToo. Relocalisée dans une ville où elle ne connaît personne, Sawyer (Claire Foy, incroyable de puissance et de maîtrise) confie à une psy avoir été harcelée par un homme et être traversée d’états d’âme dépressifs. Mal lui en a pris : soupçonnée d’être paranoïaque et suicidaire, elle se retrouve internée de force. Rien ne s’arrange quand elle assure qu’un des infirmiers des lieux n’est autre que son harceleur… Pour PARANOÏA, Steven Soderbergh dit avoir bousculé son imagerie et cherché une esthétique rentre-dedans (voir interview dans le magazine). Un parti pris se retrouvant dans son choix de caméra – l’iPhone 7 Plus. L’effet est saisissant : Soderbergh multiplie les plans acrobatiques, les placements incongrus, les compositions bizarres et décadrées, les lignes de fuite vertigineuses, il confronte plans lointains voyeurs et plans rapprochés suffocants. Soderbergh se permet tout, jusqu’à l’expérimental, notamment lors d’une scène géniale de délire où champ et contre-champ sont soudainement superposés. Tout à coup, le cinéma semble se transformer, parfois contaminé par les imageries de surveillance et de téléréalité, par l’amateurisme de l’esthétique smartphone, puis toujours rehaussé par le point de vue du cinéaste. Des partis pris marqués, loin des normes jusqu’à l’inconfort, qui installent une atmosphère délétère. Un terreau idéal pour une intrigue maligne et ramassée, évitant le rebondissement Scooby-Doo – l’état mental de Sawyer ne reste pas un mystère bien longtemps. Ici, la toxicité masculine contamine tout – ce sont aux victimes de refaire leur vie pour échapper à leurs bourreaux– et les individus, abandonnés par une société aliénante jusqu’à l’injustice, pourrie par la quête de profits, n’ont plus que leur seule volonté comme alliée – thème soderberghien s’il en est. Avec une outrance rappelant le cinéma d’exploitation des 70’s, passant notamment par un fantastique score électro-vintage de Thomas Newman, Steven Soderbergh signe un thriller où l’horreur se nourrit du réel, où les monstres se dissimulent dans chaque recoin des ténèbres du quotidien. En somme, un compagnon parfait de THE KNICK et de MOSAIC. Tout comme LOGAN LUCKY, PARANOÏA apparaîtra sans doute comme un film mineur mais son appétit d’aventure formelle en fait un objet précieux pour quiconque aime voir un cinéaste batailler avec les codes et les normes de son époque et de son Art.

De Steven Soderbergh. Avec Claire Foy, Joshua Leonard, Jay Pharoah, Juno Temple, Amy Irving. États-Unis. 1h38. Sortie le 11 juillet

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