PREMIÈRE ANNÉE : chronique

11-09-2018 - 17:40 - Par

PREMIÈRE ANNÉE : chronique

Sous ses airs de chronique étudiante bon-enfant, une violente charge contre l’individualisme. Le film dont la ‘macronie’ a besoin.

 

On dit souvent qu’on peut juger une société à la manière dont elle traite ses vieux, mais l’apophtegme marche aussi avec « ses jeunes », « ses animaux », « l’hôpital » et « le cursus universitaire ». À peu près. Sans avoir l’air d’y toucher, comme s’il racontait le train-train étudiant parisien, Thomas Lilti a biopsié le PACES (première année commune aux études de santé), afin de savoir s’il ne cacherait pas un cancer social. Il se doutait du résultat puisque médecin lui-même, il en est passé par là, par ces quelques mois d’études sanctionnés d’un concours, où il est bon d’apprendre à plusieurs pour réussir seul. Les places sont chères. Antoine (Vincent Lacoste) l’a appris à la dure : il est triplant. Il a échoué déjà deux fois, mais il a la passion de la médecine chevillée au corps. Il rencontre Benjamin (William Lebghil), frais bachelier, ayant rejoint les bancs de la fac des Saints-Pères par réflexe pavlovien. Dans la famille, on fait des hautes études. Se noue entre les deux élèves une complicité solidaire, et lors de longues journées et soirées de révision, ils apprennent et récitent jusqu’à épuisement, sacrifiant leur insouciance sur l’autel de l’investissement sur le futur. Chacun a une meilleure raison de réussir que l’autre, mais tout le monde n’y arrivera pas. On ne raconte pas le PACES comme on raconterait Hypokhâgne ou Maths sup : l’université, publique, censée former les soignants de demain, leur apprend avant de prendre soin de l’autre parfois jusqu’à la mort, l’inverse : le rendement et l’individualisme, comme si on ne formait pas l’élite d’un pays avec des valeurs humaines. Avec leurs airs débonnaires, les deux jeunes comédiens hirsutes incarnent le contresens intrinsèque de cette quête aberrante de performance. Entre deux répliques boostées à un vocabulaire médical ingrat, chacun révèle, délicatement et subtilement (Lacoste et Lebghil sont déconcertants), un questionnement profond de son apprentissage, de son futur, de ses capacités. Aux confins du réalisme, Thomas Lilti permet à la fiction d’agir comme un révélateur. Quand une société instaure la compétition comme gage de réussite, alors ne tient qu’à nous d’instaurer la compassion comme signe de succès. En apparence très simple, son scénario révèle un cinéma d’une immense empathie, grondant toutefois d’une colère sourde, en résistance à la politique de la productivité et de l’indifférence que l’Occident connaît actuellement. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si PREMIÈRE ANNÉE est formellement le plus soigné des films de Lilti : il va chercher ce qu’il y a de plus lumineux dans la grisaille ambiante et en chacun de nous.

De Thomas Lilti. Avec Vincent Lacoste, William Lebghil. France. 1h32. Sortie le 12 septembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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