Cannes 2019 : MEKTOUB MY LOVE – INTERMEZZO / Critique

24-05-2019 - 12:47 - Par

Cannes 2019 : MEKTOUB MY LOVE – INTERMEZZO

D’Abdellatif Kechiche. Sélection officielle, Compétition.

 

Synopsis : Après MEKTOUB MY LOVE – CANTO UNO, le deuxième volet de la trilogie MEKTOUB MY LOVE.

 

Intermezzo : œuvre musicale chantée ou dansée, sans forme particulière, intercalée entre deux parties d’une œuvre plus considérable. Prenant le terme au pied de la lettre, Abdellatif Kechiche compose donc une fugue sans forme, un « intermède » mû par la musique et la danse (le film se déroule quasi entièrement en boîte de nuit), une pause dans le récit fleuve MEKTOUB. Une pause de près de 3H30 tout de même. Et c’est là que le système Kechiche trouve son apogée et sa chute. Le réalisateur de LA VIE D’ADÈLE a toujours aimé exténuer le réel. Sauf que d’ordinaire, cette performance extrême, cette vision anthropologique jusqu’à l’écoeurement s’accompagne d’un foisonnement romanesque qui donne l’élan au récit. L’épuisement chez lui est aussi et surtout un épuisement des histoires.

Mais INTERMEZZO, de par sa nature transitoire, n’a volontairement rien à raconter. Et pourquoi pas. CANTO UNO par son naturalisme triomphant disait quelque chose de la valse des désirs, de la sensualité victorieuse d’un monde adulescent vu comme un paradis perdu. INTERMEZZO en est la coda, extrême. Théoriquement, c’est passionnant. Le désir virevoltant du premier trépide maintenant dans une saccade ininterrompue des corps. Littéralement, le film twerk. Se remue, secoue, bouge de haut en bas pour le simple plaisir de sentir son corps lourd de cinéma. Des corps remuants, sensuels, sexuels se frôlent, se touchent, se lèchent jusqu’à la transe attendue. Mais vient-elle vraiment ? C’est tout l’effet retour de ce SOCA DANCE : LE FILM qui n’arrive jamais à dépasser le « quart d’heure américain » pour vraiment conclure. Là où un Gaspar Noé utilise l’étirement et l’épuisement des scènes et des spectateurs pour accéder à une expérience cathartique et métaphysique, Kechiche, lui, reste collé au sol. Au raz du réel. À l’image de sa caméra qui rase les corps et surtout les culs, le réalisateur ne dépasse pas le stade anal très concupiscent d’un cinéma voyeur aujourd’hui un peu dépassé. D’où la sensation rigolote de voir un très long film pornographique dont on aurait gardé que les préliminaires. Les frôlements, les rapprochements, les baisers langoureux allument des feux que la radicalité de Kechiche éteint à grand coup de zoom.

À l’instar de son personnage principal, endive braisée mal dégrossie, Kechiche regarde mais ne jouit pas. La preuve, lors d’une longue scène de cunnilingus filmé comme un combat de catch. Les corps s’emboîtent, s’affrontent, se claquent mais tout sonne faux. Kechiche ne sait pas jouir. Il ne sait qu’emboîter les corps. Le plaisir ne l’intéresse pas. Seule la performance compte, cette toute-puissance de réalisateur, démiurgique et finalement assez ennuyeuse, qui croit encore nous épater par la durée. On rappellera à Abdellatif Kechiche que les connaisseurs le savent : ce n’est ni la taille, ni la durée qui compte. Mais l’intensité. NTERMEZZO aurait pu être une puissante petite forme, précise, délicate – une carte du tendre imperceptible où les mouvements du bassin épousent ceux du cœur. En l’état, sous cette forme tyrannique et finalement stérile, c’est un vague ersatz à Sète d’un film de Gaspar Noé.

Surtout, on ne pardonnera pas à Kechiche la bêtise d’un regard qui n’a d’yeux que pour les corps féminins. Alors qu’on frôle parfois la coloscopie avec les actrices, le réalisateur coupe et recadre dès qu’il s’agit d’un homme. Un désir limité donc, affreusement normatif (on frémit devant une discussion vaseuse sur l’homosexualité comme choix), mû uniquement par la fonction érectile de son réalisateur. Que Kechiche bande encore, tant mieux pour lui. Mais si c’est pour ne faire que regarder, c’est gâché.

D’Abdellatif Kechiche. France. 4h. Prochainement

 

 

 

 

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