GEMINI MAN : chronique

02-10-2019 - 18:18 - Par

GEMINI MAN : chronique

Après le visionnaire UN JOUR DANS LA VIE DE BILLY LYNN, un des plus grands films de la décennie passée, Ang Lee tente de rebooster l’actioner au HFR. En vain.

 

En confrontant le spectateur à un mélange des genres très américain – à savoir la célébration de l’héroïsme par un spectacle littéralement pop –, Ang Lee avait exploré dans UN JOUR DANS LA VIE DE BILLY LYNN ces histoires que l’Amérique se raconte pour se donner bonne conscience, pour justifier ses guerres et leurs morts. Un thème qui refait surface dans GEMINI MAN, sans toutefois que le récit ne parvienne jamais à susciter le même intérêt, à atteindre la même profondeur et à provoquer la même sidération. Sans doute parce qu’ici, tout n’est qu’effleuré. Henry Brogan (Will Smith), tueur à gages de 51 ans moralement fatigué, décide de raccrocher. Mais ses patrons ne l’entendent pas ainsi. Lorsqu’Henry découvre qu’on lui a menti sur l’identité de sa dernière cible, il décide d’enquêter. Ses supérieurs, eux, lancent à ses trousses Junior, son clone plus jeune (un Will Smith de 23 ans tout en CGI parfois bluffant de réalisme, plus contestable dès lors qu’il parle) pour l’éliminer. Un jeu du chat et de la souris s’engage… « Ce sentiment étrange contre lequel tu luttes, c’est la peur », lance Clay (Clive Owen), le grand méchant de GEMINI MAN, à Junior. Le spectateur, lui aussi, lutte contre GEMINI MAN mais se débat avec l’incapacité à se sentir engagé et emporté.

GEMINI MAN, dont le scénario a pourtant été retravaillé maintes fois durant les 20 ans de son long et fastidieux développement, ne parvient jamais à creuser au-delà de la surface de son sujet. Un face-à-face d’un tueur mûr, remettant en question sa propre existence, avec son clone plus jeune, pour qui tout est encore possible, soulève forcément des questions existentielles passionnantes. Qu’est-ce qui, chez l’humain, relève de l’inné ou de l’acquis ? Ce soi encore vierge de toute erreur, est-il un fantôme-miroir à fuir ou une chance de rectifier le tir de son existence ? Deux questions majeures que GEMINI MAN évoque de loin, très vaguement, dans deux répliques. Propulsé quasi entièrement par ses dialogues (pour la plupart ultra-signifiants ou explicatifs) et jamais par l’action (un comble), reposant sur des ressorts narratifs rebattus et prévisibles, sacrifiant ses personnages secondaires pour n’en faire que des entités transparentes, ne creusant à aucun moment la psychologie de son protagoniste, GEMINI MAN ne suscite que très rarement l’intérêt car il oublie tout simplement de construire des nœuds dramatiques intéressants ou touchants.

Un problème amplifié par sa facture visuelle qui, au lieu d’engendrer l’immersion recherchée, n’est que distraction de l’attention. Tourné en 4K, 3D native, et HFR (High Frame Rate, à savoir en 120 images par seconde au lieu des 24 habituelles), GEMINI MAN entend refondre le langage du cinéma d’action en lui offrant une netteté inédite. Plus de flou dans les mouvements de caméra, plus de saccades dans les gestes brusques des acteurs lors des combats. Une technologie déjà utilisée par Ang Lee sur BILLY LYNN – le film n’avait toutefois été projeté ainsi que dans une poignée de salles dans le monde. Le but du cinéaste est simple : ouvrir une fenêtre et projeter le spectateur aux côtés des personnages. Sur l’écran, l’image se déploie presque comme dans le monde réel. L’effet, au final, s’avère désastreux. À l’exception d’une séquence de fusillade entre les deux Will Smith dans une maison colombienne où l’on croirait assister à un reportage sur un front de guerre, au côté de l’acteur, sensation assez sidérante, tout le reste de GEMINI MAN souffre de sa technologie. Certaines images profitent certes d’une profondeur de champ bluffante et les plans nocturnes s’en sortent mieux que les diurnes. Mais ici, les fonds verts sont exacerbés jusqu’à un degré de fausseté rarement vu ; toutes les scènes en décors réels sont, par nécessité, sur-éclairés, tuant dans l’œuf toute esthétique ; les plans anodins tombent dans une imagerie proche du ‘motion smoothing’ (qui, sur les téléviseurs, accélère artificiellement la fréquence des images pour les rendre plus fluides). Pire : en dehors de quelques plans insensés dans l’action, le découpage d’Ang Lee aligne des compositions d’une banalité affligeante, indignes de son talent.

Au cœur de GEMINI MAN, une scène capture un exercice d’entraînement des tueurs de Clay dans un décor de carton pâte : à l’écran, comme si l’on assistait à des rushes non traités, tout fait volontairement faux, au point d’en devenir presque méta. Peut-être que le HFR s’imposera comme la technologie du futur. Et sans doute pourra-t-il être utile pour filmer l’action. En l’état, il n’apparaît tout simplement pas au point, GEMINI MAN passant très aisément de la sidération à la laideur, du réalisme au factice – les personnages ayant souvent l’air de pantins CGI. Il a toutefois le mérite de pousser le spectateur à questionner son rapport à l’image cinéma, voire de rappeler à son corps défendant qu’au bout de plus de cent ans, la profonde identité de cette image cinéma réside peut-être dans cette limitation technique accidentelle du 24 images seconde. Dans les effets de flou et de saccades. Dans un artifice qui ne la limite pas à retranscrire le réel, mais qui la pousse à le transcender.

De Ang Lee. Avec Will Smith, Clive Owen, Mary Elizabeth Winstead, Benedict Wong. États-Unis. 1h57. Sortie le 2 octobre

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