LA REINE DES NEIGES : l’empreinte de Broadway

04-12-2013 - 16:00 - Par

Où l’on explore comment le Disney de Noël se réapproprie l’héritage de toute une culture très américaine, celle des musicals de Broadway.

93,5 millions de dollars. Voilà le score de LA REINE DES NEIGES au box-office américain ce week-end, pour cinq jours d’exploitation. Un record pour le studio, dépassant TOY STORY 2 ou RAIPONCE (80 et 68 millions, respectivement). Outre les évidentes qualités du film – un regard plus féministe sur le conte de fées, notamment –, ce succès outre-Atlantique pourrait s’expliquer par le fait que LA REINE DES NEIGES se réapproprie une culture très américaine et immensément populaire, celle du musical. Car si la plupart des grands films d’animation du studio ont toujours fait appel aux chansons pour rythmer leur récit, LA REINE DES NEIGES va bien plus loin dans la filiation avec les spectacles de Broadway. Cet été, on en avait déjà discuté avec Peter Del Vecho, producteur du film.

L’article ci-dessous a été publié dans Cinemateaser Magazine n°27 daté septembre 2013 

En 2010, les studios Disney propulsaient le conte de fées – un genre qu’ils ont fait roi avec des classiques comme BLANCHE NEIGE, LA BELLE AU BOIS DORMANT ou CENDRILLON – dans l’univers du pixel. Leur cinquantième long-métrage d’animation, RAIPONCE, était ainsi leur premier opus en CGI dans ce genre codifié. Une révolution et une réussite commerciale, avec 590 millions de dollars de recettes. Trois ans plus tard, Mickey confirme avec LA REINE DES NEIGES, lointaine adaptation de l’œuvre éponyme d’Andersen. Un projet au long cours dont rêvait Walt Disney avant sa mort, développé en vain en 2002 puis 2009 et envisagé alors en animation traditionnelle. Venu à Paris début juillet pour présenter une vingtaine de minutes assez prometteuses de LA REINE DES NEIGES, Peter Del Vecho – qui a produit WINNIE L’OURSON et LA PRINCESSE ET LA GRENOUILLE et ne peut ainsi pas être taxé de désamour envers le dessin manuel – a défendu auprès de Cinemateaser l’idée d’en faire une animation CGI – « elle permet plus d’ampleur dans les détails et les textures ». Mais plus que cet élément, désormais courant dans l’animation depuis la prise de pouvoir de Pixar ou DreamWorks, un tout autre pan de LA REINE DES NEIGES nous a intrigués : son identité musicale, clairement héritée de Broadway. Si Disney a souvent fait appel à des artistes prestigieux du musical (d’Alan Menken sur LA PETITE SIRÈNE ou LA BELLE ET LA BÊTE à Tim Rice sur ALADDIN ou LE ROI LION), pour composer les chansons de ses films, celles-ci pérennisaient davantage un style propre au studio qu’une lignée artistique issue des planches. L’ironie de l’histoire étant que ces créations engendrèrent ensuite des spectacles musicaux (« Le Roi Lion », « La Belle et la Bête »). De ce qu’on a entendu de la bande-son de LA REINE DES NEIGES – à savoir deux formidables chansons, l’une dramatique et emphatique, l’autre franchement humoristique –, la filiation avec le musical est cette fois évidente, naturelle. Peter Del Vecho ayant fait ses armes au théâtre avant d’entrer chez Disney en 1995, on a vu clairement son empreinte dans cette décision, mais aussi le signe que la perméabilité entre Hollywood et Broadway n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui, avec toujours plus de projets de films issus de spectacles renommés, des MISÉRABLES à JERSEY BOYS. « Vous avez raison, cela aide, répond Del Vecho. Il y a des époques clairement plus propices à la production de musicals au cinéma et nous sommes dans une de ces périodes. » En somme, « It’s not just for gays anymore », comme le chantait Neil Patrick Harris aux Tony Awards en 2011 (voir p.26). Mieux, des marchés autrefois réticents à cette culture, comme la France, s’y sont peu à peu ouverts depuis une dizaine d’années. Disney peut donc se permettre d’y aller franchement, sans timidité. Outre l’engagement de la chanteuse Idina Menzel (ex-star du spectacle « Wicked » et vue dans GLEE) pour camper la Reine Elsa, le studio a fait appel à Robert et Kristen Lopez pour écrire les morceaux de LA REINE DES NEIGES. Un duo chéri du studio – ils ont assuré les chansons du film WINNIE L’OURSON et du spectacle inspiré du MONDE DE NEMO – dont le CV ne les prédisposait pourtant pas au film pour enfants. Robert a en effet coécrit les musicals à succès « Avenue Q », une sorte de MUPPETS live très porté sur le cul et « The Book of Mormon » (voir p.30). « Ils ont adoré ce challenge, nous rétorque Del Vecho. C’est ce que doivent faire les artistes : s’adapter au matériau sur lequel ils travaillent. Tout en étant conscients du public du film, Bobby et Kristen ont apporté leur sensibilité et un regard plus contemporain. Les chansons de LA REINE DES NEIGES ont donc la profondeur et la densité émotionnelle de tubes de Broadway, mais aussi quelque chose de plus inattendu. » Au point que Del Vecho et les réalisateurs Chris Buck et Jennifer Lee ont impliqué les Lopez dans la conception du scénario, de l’intrigue et des personnages : « LA REINE DES NEIGES n’aura jamais l’air d’une histoire avec des chansons insérées arbitrairement. Car celles-ci viennent très naturellement des héros eux-mêmes. » Soit la définition même d’un spectacle musical. De là à imaginer que le film donnera lieu à une version sur les planches, perpétuant ainsi la stratégie de déclinaison des franchises Disney sur diverses plateformes, il n’y a qu’un pas.

LA REINE DES NEIGES de Chris Buck est en salles. Lire notre critique.

Ci-dessous, écoutez trois chansons symptomatiques du ton « Broadway » de LA REINE DES NEIGES : ‘Let It Go’, ‘Do You Want To Build A Snowman ?’ et ‘In Summer’

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