Peut-on tout remaker ?

28-09-2016 - 13:59 - Par

Peut-on tout remaker ?

Réticente à parier sur des idées originales et audacieuses, Hollywood est la cible de virulentes attaques lui reprochant de ne plus rien inventer et de se contenter de recycler ce qui a déjà fait ses preuves. C’est vrai, l’offre et la diversité des films de studios tendent à se réduire. Pour autant, l’époque cinématographique vit une phase intéressante d’auto-analyse et d’exorcisme. Pourquoi refuser au cinéma ce que d’autres domaines ont élevé au rang d’art ?

 

BEN-HUR le 7 septembre, BLAIR WITCH le 21septembre, LES 7 MERCENAIRES le 28 septembre. Cette rentrée confirme une tendance amorcée dans les années 2000 : n’importe quel film, si tant est qu’il ait connu un certain succès ou qu’il soit considéré comme une licence connue du public, peut être le sujet d’un remake, d’un reboot, d’un prequel ou d’une suite. Qu’il s’agisse d’un chef-d’œuvre récipiendaire de onze Oscars, d’un film d’horreur ayant bousculé la forme de son genre ou d’un western fantasmatique. Depuis quelques années, cette mode que d’aucuns désignent comme un ‘mal du siècle culturel’ serait le signe d’un manque patent de créativité de notre époque – mais alors que faire du fait que le BEN-HUR de 1959 et LES 7 MERCENAIRES de 1960 sont eux-mêmes des remakes? Pire, elle serait la preuve d’une volonté consciente ou inconsciente de ne plus inventer, de se reposer sur les mythes passés que l’on chérirait comme des icônes païennes et désignée par un néologisme : le nostalgisme. Chaque mois, Cinemateaser essaie de remettre en perspective ce qui anime le cinéma contemporain et de rendre compte de sa vivacité. Élevés au cinéma de Steven Spielberg, on considère sans doute que tout comme la vie, la créativité « trouve toujours un chemin ». Évidemment, bien des remakes, suites ou prequels ne disent rien, ne tentent rien. Leur paresse et leur médiocrité n’effacent pas pour autant le brio de leurs aînés. Alors peut-être ne devrait-on pas balayer un film sur sa seule nature de remake ou d’hommage, mais juger sur pièce les intentions des filmmakers et l’exécution. Car après tout, l’une des séries les plus révérées de l’été 2016, THE NIGHT OF, est un remake.

En 2011, SUPER 8 est l’un des premiers hérauts de ce soi-disant nostalgisme. En rendant hommage à Steven Spielberg et aux productions Amblin, J.J. Abrams donne naissance à ce que certains considèrent aujourd’hui comme un virus incontrôlable. Pourtant, SUPER 8 recèle de tous les thèmes ‘abramsiens’ – notamment le rapport conflictuel au père – et sa fin montre le jeune héros tourner une page, guérir de ses traumas en laissant s’envoler le collier de sa mère – symbole évident de son lien handicapant au passé. Mais peu importe que SUPER 8 figure une catharsis intime et artistique pour Abrams : le film reste souvent vu comme copiste, sans profondeur personnelle, régurgitant bêtement sa nostalgie des années 80. Une accusation qui trouverait confirmation avec STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE dans lequel Abrams relit STAR WARS – UN NOUVEL ESPOIR par le menu. Le film apparaît néanmoins comme l’accomplissement de la démarche de ‘refaisage’ qui a caractérisé la carrière cinéma d’Abrams – outre SUPER 8, il a débuté avec MISSION : IMPOSSIBLE III puis rebooté STAR TREK. En effet, au cœur du RÉVEIL DE LA FORCE trônent d’une part une réflexion sur la saga, ses fans, son apport à l’imaginaire populaire et d’autre part une volonté de transmission à une nouvelle génération – de personnages, d’acteurs et de spectateurs (voir CT51 et l’article « Star Wars en héritage »). Mais là encore, peu importe, semble-t-il : les blockbusters, dès lors qu’ils relisent une part de notre culture pop commune, sont voués à être classés immédiatement dans la boîte ‘nostalgique’. Mais tous ces projets sont-ils de réelles catastrophes ? JURASSIC WORLD, accusé de photocopier JURASSIC PARK, ne tentait-il pas une réflexion sur le genre blockbuster, ses surenchères maladives actuelles, sur un certain état de ruine de la pensée de studio ? S.O.S FANTÔMES ne se révélait-il pas souvent irrésistible quand il cessait de citer le film originel et s’affichait en comédie féminine mélancolique ? Tous les reboots, prequels, suites, remakes ou œuvres citationnelles (comme la série STRANGER THINGS) ne sont-ils vraiment que des coquilles vides, des renvois nauséeux dûs à une nostalgie galopante empêchant la création d’une culture contemporaine ?

 

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Les studios hollywoodiens et leurs exécutifs sont actuellement tétanisés par la peur – nombre d’artistes de tous horizons le disent à longueur d’interviews. Les films à budgets médians et/ou visant un public plus adulte ne sont plus financés qu’en dehors des majors – à l’exception de quelques chanceux, comme ceux de Chris Nolan ou Ben Affleck chez Warner. Reposant chaque année un peu plus sur les recettes à l’international – avec l’émergence récente des marchés russe et chinois, notamment –, la créativité des studios a tendance à être arasée par une quête d’universalité. La globalisation a ainsi accentué la mainmise du concept de ‘pre-awareness’ – un film serait plus facile à marketer et rentabiliser s’il est issu d’une licence déjà identifiée par un large public. D’où la multiplication, depuis une dizaine d’années, des remakes, reboots et autres déclinaisons. Néanmoins, la question de la nostalgie galopante de notre époque culturelle se pose toujours. Le public et les artistes des années 2010 sont-ils vraiment plus nostalgiques ? Sont-ils véritablement en quête de ce que certains appellent aujourd’hui le ‘film doudou’ – film qui renvoie à un passé glorieux et qui, ainsi, rassure le public ? Si cette nostalgie s’est avérée plus prégnante en 2016, que dit-elle profondément sur notre époque et son cinéma? Et pourquoi poserait-elle autant problème ?

L’herbe est toujours plus verte dans le champ du voisin, dit l’adage. Observer la nostalgie contemporaine comme un mal dévorant, c’est oublier que toute époque ou presque est traversée par cet élan. En écrivant sur la madeleine de son enfance, Proust a parfaitement défini la manière dont l’Homme a tendance à chérir son passé, à ressasser des sentiments de perte, de regret. Si certaines époques parviennent à s’en affranchir en partie – à l’image des années 90, fondées sur un élan de liberté exaltée à la chute des Blocs –, bien des périodes sont parcourues par un sentiment nostalgique qui relaie notamment la peur du temps qui passe et des transformations (morales, sociales, politiques etc) qui l’accompagnent. Oui, chaque génération regrette si ce n’est son enfance, au moins sa jeunesse. Au cinéma, bien avant les SUPER 8 et les STRANGER THINGS, toute une génération de cinéastes baby boomers ont, dans les 70’s et 80’s, exploré leurs années de jeunesse formatrices et filmé les années 50 et 60, ces ères de mutation puis de liberté et d’émancipation. Dans AMERICAN GRAFFITI (1973), George Lucas conte la fin de ses années lycéennes à Modesto et, ce faisant, encapsule à l’écran un cinéma fantasmatique incarné au milieu des 50’s par James Dean. Il met aussi à l’écran les dernières heures d’une Amérique pré-Vietnam, encore insouciante. AMERICAN GRAFFITI a beau suinter de modernité narrative, il n’en demeure pas moins profondément ancré dans un sentiment nostalgique: « C’était la première fois que j’essayais de faire quelque chose de grand public, explique le cinéaste à The Academy of Achievement. Il évoluait dans un genre qui était regardé de haut à l’époque mais que j’adorais étant enfant. AMERICAN GRAFFITI racontait ma vie, comment j’avais grandi, alors forcément, j’y tenais beaucoup. » Un an plus tard, l’un des acteurs de AMERICAN GRAFFITI, Ron Howard, devient la star d’une sitcom phénomène des années 70 se déroulant dans les années 50 : HAPPY DAYS – dont le titre suffit à définir la nature nostalgique… Dans les années 80, Robert Zemeckis et Rob Reiner relisent l’époque de leur enfance / jeunesse avec des coming of age adolescents – RETOUR VERS LE FUTUR et STAND BY ME. Steven Spielberg, dont le cinéma est la référence actuelle de toute une génération, construit une part de son œuvre sur des élans nostalgiques. Notamment l’esthétique de la banlieue résidentielle, typique des productions Amblin, qui renvoie à son enfance. Des exemples parmi d’autres, qui rappellent notre nature profondément nostalgique, quitte à ce qu’elle soit inversée. Tout comme certains parents des 60’s pouvaient regretter l’ancien « ordre moral », certains artistes, plutôt que de chérir leur jeunesse à l’écran, raillent avec férocité leur époque. Citons Otto Preminger, cinéaste officiant depuis les années 30 qui, en 1968, use de stars passées (dont Groucho Marx et Mickey Rooney) pour signer avec SKIDOO une comédie déviante et sardonique de l’ère hippie et de la contre-culture de la fin des 60’s. À chaque époque, des œuvres regardent avec ironie ou sarcasme l’industrie hollywoodienne, que ce soit LES VOYAGES DE SULLIVAN (1941) de Preston Sturges, BOULEVARD DU CRÉPUSCULE (1950) de Billy Wilder, CHANTONS SOUS LA PLUIE (1952) de Stanley Donen, QUINZE JOURS AILLEURS (1962) de Vincente Minnelli, HOLLYWOOD BOULEVARD (1976) de Joe Dante, THE PLAYER (1992) de Robert Altman, TONNERRE SOUS LES TROPIQUES (2008) de Ben Stiller ou la série ENTOURAGE (2004-2011).

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Au-delà du sentiment nostalgique et de la relecture d’une époque révolue, qui n’ont pas nécessairement à voir avec la forme même – bien qu’il revisite parfois la sitcom d’antan dans ses scènes de dîner, RETOUR VERS LE FUTUR n’a rien d’un film des années 50, par exemple –, le cinéma reste un art qui n’a cessé de se nourrir de son passé. Tout comme, en peinture, les artistes maniéristes du XVIe citaient ou imitaient les grands maîtres de la Renaissance afin de bâtir leur propre ‘manière’ et jouer avec les codes de la perfection, la citation au cinéma peut servir à déconstruire les règles classiques pour fonder un style. En ce sens, il n’existe peut-être pas de meilleur exemple que Brian De Palma, dont le cinéma n’a jamais cessé de citer Alfred Hitchcock pour fonder sa propre esthétique de l’outrance et du mauvais goût. Le cinéma de Dario Argento serait-il le même sans celui de Mario Bava – qui, selon la légende, se serait plaint à son héritier de tous ses ‘emprunts’ ? De même, dans STAR WARS, George Lucas combine son désir de remaker FLASH GORDON et son amour du cinéma d’Akira Kurosawa – UN NOUVEL ESPOIR pille allègrement LA FORTERESSE CACHÉE. Plus récemment, Quentin Tarantino a poussé la référence et l’emprunt dans ses retranchements pour servir un cinéma maniériste et imitateur qui se révèle pourtant très personnel. En relisant le passé, parfois au plan près, Tarantino a influencé l’esprit de notre époque, caractérisé par une distanciation désinvolte du spectateur par rapport à l’œuvre. Les années 2000, elles, voient l’émergence d’une génération de cinéastes, scénaristes, producteurs, créateurs de séries nés dans les années 70, qui ont grandi dans les années 80. Là où les précédentes devaient arpenter les cinémas et les cinémathèques pour voir ou revoir les films, cette génération a été la première à pouvoir nourrir son amour des images à l’infini, grâce au magnétoscope. Comme leurs aînés, les artistes contemporains s’épanouissent en citant, en triturant leurs références. Mais la démarche va peut-être plus loin : ayant revu les mêmes films en boucle grâce à la VHS, cette génération a peut-être moins élargi ses horizons et a plus de mal à se départir de la forme même des images qui l’ont inspirée. La citation se fait parfois mimétisme mais demeure un processus ancestral et logique.

Alors où est donc le problème ? Depuis une vingtaine d’années, chaque remake entraîne une levée de boucliers. Une tendance à l’indignation qui n’a fait que s’accentuer ces cinq dernières années, à mesure que le ‘fandom’ – cette entité abstraite regroupant les ‘fans’– s’est trouvé en Internet un porte-voix idéal. Les différentes formes du ‘refaisage’ seraient la mort de la créativité et une manière détournée de refuser à la jeune génération de se trouver ses propres icônes. Pourquoi nie-t-on aujourd’hui au cinéma le droit de refaire, de citer, de trouver ses fondations dans la redite ou la relecture ? Pourquoi refuse-t-on de nos jours ce droit au cinéma quand on l’accepte de la littérature, du théâtre, de la peinture et, évidemment, de la musique ? Les frères Grimm sont passés à la postérité en recueillant et en publiant des contes classiques ou des œuvres orales de troubadours. Il existe des centaines, voire des milliers, de mises en scène différentes des pièces de Molière ou Shakespeare – des plus fidèles aux plus farfelues – tout comme il existe un immense spectre de variations des ballets classiques comme « Le Lac des Cygnes ». Les spectacles vivants ont cet avantage sur le cinéma de tirer leur raison d’être du caractère éphémère d’une représentation et justifient ainsi qu’une pièce ou un ballet soit fait et refait à l’infini. Mais que dire de la musique qui, à l’ère moderne, comme le cinéma, s’est fixée sur un support physique durable ? Qui nie à la musique la possibilité de refaire? Pourquoi existe-t-il autant de versions de la « Neuvième Symphonie » qu’il existe de chefs d’orchestre ? (Parce que chaque chef d’orchestre a sa sensibilité, sa nuance). Pourquoi accepte-t-on que Regina Spektor reprenne un classique des Beatles pour illustrer le générique de fin de KUBO ET L’ARMURE MAGIQUE ? Qui oserait rejeter la musique folk américaine et son art de la reprise, outil de transmission culturelle, politique et sociale ? Ou l’art de l’emprunt et de l’échantillonnage d’Andy Warhol? Les Beatles parsèment trois de leurs quatre premiers albums de reprises et débutent en citant Carl Perkins, Chuck Berry ou Roy Orbinson. Même quand ils innovent et plongent la pop mainstream dans l’avant-garde, ils récupèrent d’autres artistes – dont Stockhausen. De la même façon, deux pans majeurs de la musique contemporaine – le rap et l’électro – n’existent que par la citation et le sampling. Cloue-t-on Daft Punk au pilori quand leur « Robot Rock » n’est qu’une variation assez simple autour du riff de « Release The Beast » de Breakwater ? Accuse-t-on Ice Cube de tuer la musique quand, sur cinq minutes, son « No Vaseline » repose entièrement sur les premières secondes de la chanson « Dazz » de Brick ? Dans la musique, comme dans tout Art, la créativité la plus fulgurante peut résider dans le ‘refaisage’. Ainsi, qui ne préfère pas la reprise de « All Along The Watchtower » par Jimi Hendrix à l’originale, pourtant déjà sublime, de Bob Dylan? Du mimétisme peut surgir la personnalité. Dans la reprise, certains des plus grands artistes musicaux de ces cinquante dernières années ont exprimé leurs sentiments les plus intimes, à l’instar de Johnny Cash qui, à la fin de son existence, a accédé à un nouveau niveau de notoriété et d’expression artistique en publiant ses « American Recordings », six albums principalement composés de reprises.

 

remakes-exergue-2Juger avec véhémence le ‘refaisage’ au cinéma ou à la télé, regretter la mise au placard de l’originalité a d’autant moins de sens que Hollywood n’a jamais vraiment reposé sur l’originalité. L’un des plus grands films de tous les temps, LE MAGICIEN D’OZ de Victor Fleming, est lui-même une redite – le livre de Frank Baum avait déjà été adapté en 1925 par Larry Semon. On ne compte plus les cinéastes qui, au fil de leur carrière, se sont auto-remakés. Cecil B. DeMille a réalisé deux DIX COMMANDEMENTS (en 1923 et en 1956), trois versions différentes de THE SQUAW MAN (1914, 1918 et 1931) et, six ans après THE GOLDEN CHANCE (1915), en signait un remake avec LE FRUIT DÉFENDU. Leo McCarey (ELLE ET LUI, 1939 et 1957), William Wyler (ILS ÉTAIENT TROIS en 1936 / LA RUMEUR en 1961), Raoul Walsh (LA GRANDE ÉVASION en 1941 / LA FILLE DU DÉSERT en 1949), Alfred Hitchcock (L’HOMME QUI EN SAVAIT TROP en 1934 et 1956) ou Frank Capra (LA GRANDE DAME D’UN JOUR en 1933 / MILLIARDAIRE D’UN JOUR en 1961) : tous ont un jour relu leur propre œuvre pour des raisons artistiques, techniques ou commerciales. Depuis sa création, Hollywood n’a jamais cessé de muter et d’évoluer, le système a connu des périodes plus ou moins fastes, mais sa culture du ‘refaisage’ et de l’imitation ne s’est jamais démentie. Sinon, comment expliquer que L’INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURE ait connu autant de versions (1956, 1978, 1993, 2007) ? Que LE CHANTEUR DE JAZZ se soit décliné trois fois en 1927, 1952 et 1980 ? Tout comme UNE ÉTOILE EST NÉE, dont l’histoire a été contée par William Wellman (1937), George Cukor (1954) et Frank Pierson (1976). Et bientôt par Bradley Cooper en 2017.

Les trentenaires et quadras des années 2010 semblent terrifiés à l’idée que leurs films fétiches des 70’s et 80’s soient un jour remakés alors que, dans le même temps, la plupart de leurs héros ont un jour prouvé que la forme du remake les intéressait et leur fournissait matière à créativité. Steven Spielberg a relu UN NOMMÉ JOE (1943) de Victor Fleming dans ALWAYS. Il a bien failli signer un remake de HARVEY (1950), un autre de OLD BOY, et envisagerait toujours de diriger une nouvelle version de… WEST SIDE STORY. Coppola a revisité DRACULA. Peter Jackson a revu KING KONG. De Palma a ré-adapté « Le Fantôme de l’Opéra » et remaké Alain Corneau. Cimino a revu LA MAISON DES OTAGES de William Wyler dans DESPERATE HOURS. Robert Zemeckis a tenté pendant plusieurs années de refaire YELLOW SUBMARINE en performance capture. Carpenter a signé THE THING et LE VILLAGE DES DAMNÉS, deux remakes – plus ASSAUT, remake officieux de RIO BRAVO. John McTiernan a relu ROLLERBALL et L’AFFAIRE THOMAS CROWN. Les frères Coen, LADYKILLERS et David Fincher, MILLÉNIUM. David Cronenberg a refait LA MOUCHE NOIRE et Friedkin LE SALAIRE DE LA PEUR. Martin Scorsese a remaké LES NERFS À VIF. Refaire, c’est fouiller dans les entrailles d’une culture qui nous a construits, comme l’illustre bien LA QUATRIÈME DIMENSION, film à sketchs réalisé par Steven Spielberg, John Landis, George Miller et Joe Dante. Refaire, c’est revenir aux origines d’un désir artistique et se confronter à lui. L’idée du remake ne peut donc qu’intéresser les cinéastes, à l’image de Gus van Sant avec PSYCHOSE. Ou de Lars von Trier qui, en 2003, coréalisait THE FIVE OBSTRUCTIONS, documentaire relatant comment il mettait au défi son ami Jorgen Leth de remaker cinq fois un de ses courts-métrages en se soumettant à chaque fois à une contrainte différente. Un challenge qu’il aurait soumis à Martin Scorsese lui-même – en 2011, Variety annonçait que le cinéaste américain avait accepté l’épreuve, sans que le projet n’aboutisse au final.

Si l’on élargit au-delà du cadre strict du cinéma hollywoodien, la pop culture repose sur une idée de citation et de régénération. Par exemple, deux des séries les plus importantes, TWIN PEAKS et X-FILES, ouvrent les portes du futur et innovent en explorant ce qui a déjà été fait. La série de David Lynch et Mark Frost parodie l’univers du soap-opéra et renvoie tout particulièrement à la célébrissime PEYTON PLACE pour donner une vision étrange de l’Amérique. Avec X-FILES, Chris Carter cite nombre de figures, mythes ou films légendaires – comme dans l’épisode « Projet Arctique », variation autour de THE THING. Du côté des comics, l’idée de ‘refaisage’ a fait son chemin depuis longtemps. En 2000, la collection « Ultimate » relance certains des héros Marvel (Spider-Man, X-Men, Les Quatre Fantastiques, les Avengers) en relisant leur genèse et en modernisant leurs histoires. Et que dire des uchronies de la collection « What If ? », dans lesquelles Marvel réexamine des postulats de ses storylines en leur donnant un nouveau déroulé ? Ou encore du Multiverse DC et ses univers parallèles, dans lesquels ses héros et leurs comportements diffèrent ? Conscients du caractère mutant de la pop culture, de sa nécessité à perpétuellement se réactualiser au fil des générations, Marvel et DC n’ont jamais rechigné à tuer et ressusciter leurs héros, à refaire encore et encore, jusqu’aux inévitables reboots de leur continuité – DC Comics relance ses séries en 2011 puis en 2016 ; Marvel fait de même en 2016 avec le « All New, All Different Marvel ».

 

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Au centre de la culture populaire pendant des décennies, le cinéma n’a eu d’autre choix pour pérenniser son importance que de courir après l’air du temps. Il a donc toujours fonctionné à l’effet de mode – à Hollywood et ailleurs. Les divertissements d’espionnage se sont multipliés dans les 60’s à la suite du triomphe de DR NO ; dans les années 40 et 50, de nombreuses séries B à petits budgets étaient produites pour capitaliser sur les modes de l’époque (polars ou films de monstres), à l’instar des productions des frères King ; après BASIC INSTINCT, les sex thrillers se sont multipliés à l’écran – SLIVER, BODY, HARCÈLEMENT, PROPOSITION INDÉCENTE ; Glenn Close, en zigouillant un lapin dans LIAISON FATALE, a ouvert la porte à une succession de « psychotiques qui pourrissent la vie » – de FENÊTRE SUR PACIFIQUE à JF PARTAGERAIT APPARTEMENT en passant par LA MAIN SUR LE BERCEAU.

Le souci des années 2010 ne réside pas tant dans le ‘refaisage’ que dans l’uniformisation. Comme l’explique Pierre Berthomieu dans son livre « Hollywood – Le Temps des Mutants », « la création hollywoodienne connaît dans les années 2010 des évolutions majeures. À l’opposé de la variété des productions des studios classiques, le spectre des films mainstream se réduit spectaculairement aux blockbusters post-Lucas, aux films de super-héros et d’heroic fantasy, au film d’action et policier et aux comédies romantiques ou antiromantiques. » Peu à peu, l’offre est arasée par l’internationalisation des revenus, par la globalisation du public, par la mainmise de conglomérats soumettant les majors aux exigences d’actionnaires, mais aussi par la concurrence des jeux vidéo et du flux constant qu’est Internet. Face à ces antagonistes que le public consomme à la maison, le cinéma semble avoir un devoir de spectaculaire pour justifier le déplacement en salles et le prix du ticket. Un processus qui prive tout un pan de cinéma d’exister au sein du système des studios mais qui n’explique pas totalement l’uniformisation des blockbusters. Pourquoi rien ne ressemble plus à un film Marvel qu’un autre film Marvel ?

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L’appel à un cinéma de studio plus original, favorisant des gestes artistiques affranchis du passé et des monolithes d’influence, pourrait avoir du sens si, de l’autre côté, les tentatives récentes en la matière n’étaient pas systématiquement balayées par le public et/ou une partie des critiques. Comment pousser les majors à l’audace quand SPEED RACER, CLOUD ATLAS ou JUPITER ASCENDING des Wachowski sont raillés comme de vulgaires séries Z ? Quand un geste fort de mise en scène comme PAN est largement rejeté ? Quand la planète vilipende BATMAN V SUPERMAN, opéra sentimental et politique, parce qu’il a le malheur de sortir des codes du comic book movie actuel et qu’il bouscule les personnages qu’il met en scène ? Quand les productions Laika demeurent commercialement confidentielles ? Quand un grand divertissement réinventant le futur en sublimant le passé comme À LA POURSUITE DE DEMAIN est un échec cuisant ? Les propositions de cinéma aventureuses peinent à trouver écho, même dans les franges les plus sensibles des spectateurs de cinéma. Chaque blockbuster semble devoir être soit « un chef-d’œuvre » soit « un naufrage », sans la moindre mesure.

Bousculé par la perte de sa position dominante, porté par de jeunes cinéastes biberonnés au visionnage répété de leurs films fétiches, le cinéma hollywoodien actuel se replie sur lui-même, il se réfugie dans le ‘refaisage’ et y trouve parfois un moyen d’introspection. Consciemment ou pas, il regarde dans le rétroviseur et réfléchit aux images qu’il a créées, sans doute pour inventer son futur en transmettant son passé. LE RÉVEIL DE LA FORCE ou STRANGER THINGS ne cherchent pas à enfermer les jeunes générations du public dans un statu quo artistique, ne nient pas aux adolescents des années 2010 le droit d’avoir leurs icônes, mais ambitionnent de transmettre les leurs pour que ces générations puissent se transformer, muter et s’épanouir dans un ailleurs, un autre. Cette évolution a sans doute déjà commencé : nul doute qu’aux mains de Rian Johnson, STAR WARS EPISODE VIII n’aura pas grand-chose à voir avec LE RÉVEIL DE LA FORCE. Son existence est toutefois possible en raison de celle de l’EPISODE VII et de son geste de passation ‘nostalgique’. Alors peut-être devrions-nous accompagner cet élan d’introspection caché dans l’hommage, la citation et le remake. Sans pour autant signer un blanc-seing au concept de ‘refaisage’, mais en essayant de comprendre ce que ces gestes peuvent signifier, ce qu’ils peuvent apporter à l’ensemble du cinéma actuel, ce qu’ils ont de contemporain. En s’interrogeant. En quoi MIDNIGHT SPECIAL, hommage appuyé à Spielberg et Carpenter, demeure-t-il profondément personnel pour Jeff Nichols ? Que dit un reboot comme S.O.S. FANTÔMES sur notre époque et sur l’importance d’offrir aux jeunes filles des héroïnes aussi universelles que leurs pendants masculins ? Pourquoi CREED est un symbole important de transmission au sein de la société et de la culture américaines ? Antoine Fuqua dit-il quelque chose, consciemment ou pas, en remakant LES 7 MERCENAIRES avec un chef de bande afro-américain ? Et si, dans LE RÉVEIL DE LA FORCE, J.J. Abrams exhortait les fans originels de STAR WARS à accepter de passer le témoin à la nouvelle génération ? Et si la vraie nostalgie ne résidait pas dans la citation mais dans le refus d’accepter qu’une série comme STRANGER THINGS transmette à une nouvelle génération les trésors de la nôtre ? Bien sûr, le cinéma américain ne peut se limiter à ces œuvres référentielles. Et il ne le fait pas. Car si les studios se recroquevillent trop souvent sur les licences, les films originaux formidables (STEVE JOBS chez Universal, EVERYBODY WANTS SOME chez Paramount, AU CŒUR DE L’OCÉAN chez Warner…) et les talents exaltants (Jeff Nichols, J.C. Chandor, Bennett Miller…) n’ont pas disparu pour autant.

 

 

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